André Silver Konan : « Ouattara doit revenir à l’orthodoxie démocratique, s’il veut donner des chances au RHDP en 2020 » (Suite et fin)

André Silver Konan dissolution gouvernement
André Silver Konan dissolution gouvernement

Dans cette deuxième partie de l'interview qu'il nous a accordée, l'analyste politique André Silver Konan (qui est aussi titulaire d'un Deug en Sciences économiques et d'un Master en Ressources humaines) donne des pistes de solutions, pour réparer les erreurs économiques et politiques commises par le pouvoir d'.

On vous sent un peu déçu. Que faut-il pour que Ouattara regagne la confiance de ses concitoyens et de la communauté internationale ?

J'ai discuté un jour avec un ministre qui m'a demandé ce que je proposais après mes critiques. Je lui ai dit : « revenez à l'orthodoxie ! Tout simplement. Il n'y a pas d'autre secret, autrement vous foncez droit vers le mur de votre perte durable du pouvoir. Ne vous leurrez pas avec une majorité factice. LMP de Gbagbo aussi avait le FPI, une partie du PDCI avec les Fologo, une partie du RDR avec les Zémogo Fofana, Ally Kéita, une partie de l'UDPCI avec Blon Blaise, une partie du PIT avec Kabran Appia, etc. Sur papier, Gbagbo était convaincu qu'il gagnerait dès le premier tour. La fausse majorité que croyait détenir Gbagbo avec LMP est la fausse majorité que croit détenir aujourd'hui Ouattara avec le . Bref.

L'entourage de Ouattara et peut-être lui-même, sont étonnés que nombreux parmi les compatriotes n'adhèrent pas à sa politique. C'est bien parce qu'ils font l'erreur de presque tous les dirigeants africains, à savoir présenter des infrastructures et penser que les masses devraient s'en contenter, mais c'est faux. Construire des ponts, des routes, des maternités, des écoles, ce sont des choses tout à fait normales, prévues par un budget qu'on exécute sans problèmes, surtout en temps de paix.

« Depuis 2014, une brigade de lutte contre la corruption a été créée qui n'a jamais arrêté personne à ma connaissance, alors que le pays est classé parmi les plus corrompus au monde »

Les en général ne pardonneront pas à Ouattara de n'avoir pas atteint l'émergence qu'il leur avait promis en 2020, pour deux raisons. La première est que depuis , jamais Président ivoirien n'avait autant bénéficié de temps de grâce et de temps de paix. Sous Bédié, dont le mandat n'a pas été brillant et pour lequel je continue d'avoir de sérieuses réserves quant à sa capacité à diriger dans l'orthodoxie un pays au 21è siècle, c'étaient les grèves, marches et casses, presque quotidiennement, des syndicats et partis politiques du Front républicain. Le Général n'a fait que dix mois et a connu deux mutineries. a eu deux ans pour nous convaincre qu'il ne serait pas un bon Président (je rappelle que son pouvoir a organisé les élections législatives les plus sanglantes et meurtrières de l'histoire du pays, en décembre 2000, bien avant la rébellion), avant que les rebelles de ne viennent installer la rébellion.

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Pour vous dire que je milite pour que les collaborateurs et opposants historiques d'Houphouët, décédé il y a plus d'un quart de siècle et qui ont tous, collectivement et unanimement échoué à nous apporter l'indépendance économique (selon la Banque mondiale, l'Ivoirien a aujourd'hui le même niveau de richesse que l'Ivoirien des année 80) fassent valoir leurs droits à la retraite politique, en 2020. La deuxième raison est liée à l'image que Ouattara lui-même a donnée de lui : un technocrate. L'on s'est dit : avec lui au moins, il n'y aura pas de favoritisme dans l'administration. Que non, il est venu avec le « Rattrapage », un concept nauséabond, voisin de la détestable Ivoirité. L'on s'est dit : avec lui, il n'y aura plus de corruption. Que non ! Depuis 2014, une brigade de lutte contre la corruption a été créée qui n'a jamais arrêté personne à ma connaissance, alors que le pays est classé parmi les plus corrompus au monde.

« En pleine campagne des locales, on a entendu des responsables du RDR promettre des postes aux concours administratifs à des électeurs »

On s'est dit qu'avec lui, tout le monde aurait eu un accès équitable aux concours. Que non ! Lui-même a reconnu que les concours seraient payants et a demandé une enquête à son ministre de la Fonction publique. Cela fait près de six mois que personne ne nous dit ce qu'il en est. Pendant ce temps, l'on entend sans pouvoir le vérifier, que des listes circulent relatives au concours. En pleine campagne des locales, on a entendu des responsables du RDR promettre des postes aux concours administratifs, à des électeurs.

On s'est aussi dit que le RDR qui avait bâti sa doctrine politique sur la lutte contre l'exclusion, n'oserait jamais appliquer aux autres ce qu'il prétendait subir ou avait réellement subi. Que non ! L'exclusion est devenue la règle, en attestent toutes ces élections auxquelles l'opposition ne participe pas ; davantage parce qu'elle critique (à raison), une commission électorale dirigée par un homme d'une incompétence criante, , pour ne pas le citer, incapable d'organiser des élections irréprochables, dans seulement huit circonscriptions sur des centaines, alors qu'il organise des élections depuis neuf ans.

Et donc pour tout cela, il faut revenir à l'orthodoxie, comme vous dites. Qu'est-ce que cela signifie exactement ?

Cela signifie qu'il faut que le pouvoir RDR ou RHDP si vous voulez, commence à faire les choses dans les règles. Par exemple, au Plateau, a gagné, il faut le laisser s'installer et le juger sur pièces, au lieu de créer des artifices pour l'empêcher d'entrer dans son droit. Cela veut dire par exemple qu'il faut réformer profondément la , surtout quand on se targue d'être majoritaire, à moins qu'on ne soit soi-même convaincu que cette majorité est factice. Je rappelle que le Président Ouattara a parlé pour la première fois de « recomposition » de la CEI et non de réforme de la CEI. Dans son discours du 31 décembre 2018, il a parlé de « réexamen de la composition de la CEI ». Jusque-là, il ne parle pas de réforme de la CEI. Cela veut dire qu'il n'a pas l'intention de réformer la CEI en profondeur, mais il veut juste poser un acte symbolique qui va encore avoir le mérite de le présenter comme un dirigeant opposé à la transparence démocratique, alors qu'il n'a rien à perdre, sinon tout à gagner, à être le premier Président à installer une commission véritablement indépendante et crédible.

Le problème de nos dirigeants africains, c'est qu'ils ne cherchent pas à inscrire durablement et positivement leurs noms dans l'histoire. Cela veut aussi dire qu'il faut libéraliser l'espace audiovisuel, qu'il faut créer les conditions d'un jeu démocratique, qu'il faut surtout rendre son indépendance à la justice. C'est tout cela que j'appelle le retour à l'orthodoxie, parce que ce n'est pas la mer à boire, c'est juste d'accepter de faire le jeu de la démocratie.

Vous semblez dire que rien de positif n'est fait…

Je ne crois pas m'avoir entendu dire cela. Je dis simplement que ce que je décris n'est pas fait, restons focus sur ce qui n'est pas fait, le train qui n'arrive pas à l'heure. Personne n'applaudit un train qui arrive à l'heure. Personnellement, j'attendais beaucoup Ouattara sur les chantiers infrastructurels, sur ce plan, quand bien même l'exécution de certains travaux reste problématique, il y a une certaine réussite, comparée à ses derniers prédécesseurs. Mais je l'attendais davantage sur sa volonté politique à faire de la Côte d'Ivoire, un pays véritablement démocratique. Je l'attendais vraiment (et je pense qu'avec moi de nombreux intellectuels) et surtout sur la transparence dans la gouvernance.

Je vous donne une anecdote. J'ai demandé un peu partout combien a coûté l'organisation des locales du 13 octobre et personne ne veut me le dire, comme si l'argent utilisé n'appartenait pas aux Ivoiriens, mais à ceux qui sont payés pour les utiliser et qui refusent d'en prouver leur utilisation. Les gens créent des systèmes pour blesser dans notre jeton. Chaque fois qu'il y a un conseil des ministres, je m'amuse à lire entre les lignes, le communiqué. Derrière chaque décision prise, je vois tout de suite l'intérêt du porteur du projet et je remue la tête. Ouattara était attendu sur le chantier de l'enrichissement rapide, il nous donne le sentiment de n'avoir pas de volonté sur le sujet. La lutte contre la corruption, l'indépendance et l'équité de la justice, la liberté d'expression, la pluralité des médias, etc.

A deux ans de la fin de son dernier mandat, il n'est pas encore au rendez-vous. Or ce sont ces chantiers qu'il a délaissés qui seront déterminants pour le candidat du RHDP en 2020. Il apparaît désormais que cette coalition amputée du PDCI et d'autres partis originels du RHDP ne pourra pas avoir un candidat unique de la mouvance présidentielle. En refusant de se lancer sur ces chantiers essentiels pour le pays, le Président fait une mauvaise lecture, s'il pense que les infrastructures suffiront à convaincre.

Tout de même sur le plan économique, il y a des réussites. Allez-vous aussi remettre cela en cause ?

Je l'ai déjà dit, sur le plan macroéconomique, le pays a connu un bond prodigieux. Presque tous les indicateurs sont au vert (taux de croissance, d'inflation, PIB, revenus par tête d'habitants, etc.) mais cela ne suffit pas. Tous les pays d', même ceux qui sont en guerre, ont leurs indicateurs macroéconomiques au vert. Ce n'est un secret pour personne que la meilleure façon de bonifier ses indicateurs macroéconomiques, c'est d'adopter une politique des grands travaux. Mais je pense qu'on attendait le PHD en économie, Alassane Ouattara, sur une vision claire qui conduise à une meilleure répartition des fruits de la croissance aux masses. Sur ce chantier essentiel qui ferait un bon Président au 21è siècle, parce que j'insiste sur le fait que tous les Présidents africains aujourd'hui construisent des routes, des ponts et des maternités étant donné que c'est la chose la plus facile (c'est un job normal) ; l'on continue d'attendre le Dr Alassane Ouattara. Sera-t-il au rendez-vous avant 2020 ? J'ose encore le croire.

Interview réalisée par Karina Fofana

Written by Karina Fofana

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