Alafé Wakili: sa si longue lettre à Guillaume Soro

Wakili Alafé, le journaliste et directeur du quotidien l'Intelligent d'Abidjan s'est adressé à Soro à propos de présidentielle de 2020 et de l'élection locale. 

Monsieur le Président du comité politique (CP), et de Générations et Peuples Solidaires (GPS), répondant récemment à une question lors de votre interview dite exclusive 24-RFI, vous avez dit qu'une élection locale est différente d'une élection présidentielle.

Cela m'a interpellé et fait réfléchir, me conduisant à partager publiquement avec vous ces quelques idées que je soumets à votre analyse et appréciation, espérant ainsi initier peut-être un canal de dialogue et de discussion, en vue de faire avancer le débat public et démocratique dans notre pays. Bien sûr, je ne suis pas dupe du fait qu'il s'agissait, pour vous, de réduire la portée des résultats des élections locales de 2018, dans notre pays. En réalité, vous êtes parfaitement conscient des enjeux des élections locales, et du lien, de l'impact et des interactions entre tous les types d'élections.

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Monsieur le Président du Comité politique, dans la forme vous avez raison : une élection municipale est bien une élection municipale, elle n'est pas une élection présidentielle, et vice versa.

Cependant dans le fond, je ne vois pas de différence absolue, même si je ne permets pas de dire que vous n'avez pas raison dans le fond. Je partirai d'une anecdote. Discutant avec l'un des chroniqueurs de L'Intelligent d' qui, à l'époque, était Conseiller du Président du Conseil Économique, Social et Environnemental de France (CESE), il m'avait dit : « Si vous venez au CESE, quand vous croiserez une personne, vous lui donnerez du « Bonjour, Monsieur le Président », car, ici, tous les membres du CESE sont « Présidents de quelques chose, un syndicat ouvrier, patronal, une association familiale, une association de pécheurs ou de chasseurs, de locataires, etc. »

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Ces propos, amusants certes, sont en réalité plus sérieux qu'il n'y paraît, car ils mettent en évidence le nombre important d'individus qui, dans une société, se soumettent à un processus électoral. L'élection présidentielle est « la mère des élections » par sa dimension unique, voire sacrée. En réalité un candidat à l'élection présidentielle ne se caractérise-t-il pas essentiellement par son ancrage et par l'adhésion des populations, des électeurs, comme un candidat à une élection municipale, ou régionale, se caractérise également par son ancrage dans la commune ou la région ?

Certes, l'élection présidentielle n'est pas une élection locale, toutefois, qu'elle soit présidentielle ou locale, toute élection est toujours une rencontre directe entre, d'une part, un individu, une personne physique , le ou la candidate, et, d'autre part, un électorat, tout le peuple , ou une partie du peuple, d'un pays, d'une commune, d'une région, d'un territoire administratif national. On retrouve cette logique de la rencontre entre un candidat et des électeurs, au-delà des communes, des régions et des pays, dans la vie associative, syndicale. Que ce soit pour la présidence d'une association, d'un club de sport ou d'une fédération quelconque , l'élection est une adhésion à un porteur de projet, c'est une rencontre, une fusion entre le candidat et les électeurs.

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Celui qui veut être le représentant des journalistes, des médecins, transporteurs , des enseignants, s'inscrit dans un processus électoral dont les modalités sont identiques pour tout type d'élection : ancrage, fusion avec les électeurs (peuple), adhésion à un projet.

Prenons l'exemple des élections locales ou régionales. Un maire occupe, dans une commune, le poste suprême ; il en est de même pour le président d'une région qui accède à la plus haute responsabilité. La différence avec l'élection présidentielle est une différence de taille du territoire et du nombre d'électeurs concernés. Cependant , sur le fond comme dans la forme, une élection locale obéit aux mêmes mouvements d'adhésion ou de rejet d'un candidat, qu'une élection présidentielle.

Monsieur le Président du comité politique, et du GPS ( bravo d'avoir pensé à cette jolie abréviation qui nous ramène au GPS satellite, et oblige à se familiariser avec le nom de votre mouvement qui nous l'avons bien compris n'est pas un parti politique, là encore difficile de faire une grande différence entre un mouvement politique qui recueille des adhérents, pour la conquête du pouvoir politique, et un parti politique qui a les mêmes objectifs- je reviendrai sur cet autre aspect si vous le permettez ), il me semble difficile de soutenir durablement que l'élection présidentielle est un mode électoral totalement différent, pour justifier qu'il ne faut pas tenir compte des résultats des élections locales.

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Choisir cette option, n'est-ce pas tenter de nier deux choses :

1) le poids et l'influence des leaders locaux et régionaux dans une campagne électorale

2) la configuration « ethnique », ou particulière (spécifique) d'un espace électoral. On sait comment vote telle ou telle région, telle ou telle commune, d'où l'importance de bien connaître la carte électorale. Dans un parti politique, le spécialiste de la carte électorale est, peut-être, le personnage le plus important.

Il peut y avoir quelques fois des surprises avec des candidats indépendants qui remportent une élection ou comme, en France, un candidat comme Macron, venu de nulle part, élu président de la République sans le soutien d'un grand parti politique, mais on voit bien qu'il y'a des leaders locaux et régionaux qui adhèrent à la marche pour la victoire. Lorsqu'un candidat remporte une élection présidentielle, cela se traduit et se décline au niveau local, par une majorité de députés et d'élus communaux et régionaux qui se réclament du vainqueur. La question de l'antériorité (l'éternelle question de qui précède l'autre entre la poule et l'ouf) se posera toujours : qui a fait élire qui ? Le président élu l'a-t-il été grâce à l'ancrage électoral de ceux qui l'ont soutenu et ont fait campagne pour lui sur leur terre électorale ou bien les élus locaux (maires, présidents de collectivités, députés) l'ont-ils été parce qu'ils portaient l'étiquette présidentielle ?

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En 2018, en Côte d'Ivoire, les partis politiques ont voulu mesurer leur implantation et leur influence. Le PDCI et le RDR, des indépendants sans étiquettes et des indépendants proches de vous, en utilisant votre nom, votre caution et votre adhésion, étaient dans la course. En 2020, les élus locaux de 2018 s'engageront pour que ce soit le candidat de leur parti, ou de leur camp, qui remporte l'élection présidentielle. Chacun mise sur un candidat avec le risque, si c'est l'autre candidat qui l'emporte, de subir une défaite lors des prochaines élections locales.

Après une élection présidentielle, les élections locales se jouent sur deux arguments qui s'opposent : le président élu demande aux électeurs de lui donner une majorité parlementaire, et des relais dans les exécutifs locaux afin d'appliquer le programme sur lequel il a été élu ; les autres partis politiques avancent l'argument du rééquilibrage politique, car un seul parti politique et ses alliés ne peuvent disposer de tous les pouvoirs sans mettre en danger la démocratie.

On comprend alors que toute élection est en réalité une élection présidentielle en miniature, ou qu'à travers chaque élection se joue et se dessine l'élection présidentielle à venir, ce qui me fait dire que toutes les élections se valent et qu'il ne faut en négliger ou banaliser aucune. Ne dit-on pas couramment chez nous, qu'il n'y a pas de petite élection ? Nous en avons eu récemment une idée avec l'élection du président des journalistes de Côte d'Ivoire. Nous en aurons sans doute un autre exemple avec l'élection à la Fédération ivoirienne de football ! Même les élections passées dans des Fédérations d'autres sports ( athlétisme, basket , boxe ), ont donné lieu par le passé à des joutes dignes d'une mini présidentielle. N'oublions les élections à la chambre de commerce et d'industrie qui est une élection à caractère national, même si ce n'est pas au suffrage universel direct.

L'élection présidentielle n'est pas une élection à part, déconnectée des réalités électorales locales, ou régionales, ordinaires au motif qu'elle est nationale, au niveau du suffrage universel.

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Par ailleurs, un président de la République, même s'il est bien le président d'une nation et de tout le peuple, n'en n'est pas moins d'abord le candidat d'une famille politique, d'un seul camp, d'une seule partie du peuple, d'un groupe politique particulier et non de tout le peuple , d'un mouvement qui cherche ensuite à rassembler le plus grand nombre d'électeurs, afin d'être en capacité de gouverner. La notion de candidat du peuple , au dessus des partis politiques et des mouvements , du candidat qui transcende les divisions, ne tient que si l'on gagne dès le premier tour, à l'unanimité et non à une majorité classique.

Aucun parti ne gouvernant seul, et aucun candidat ne gagnant seul, le parti, ou le candidat à l'élection présidentielle , est obligé est obligé de passer par un jeu d'alliances et de ralliements, s'il y'a deux tours. À ce stade de ralliement, l'adhésion est moins spontanée en faveur de la personne élue. Elle est d'abord adhésion à d'autres candidats, ou à des partis politiques tombés au premier tour, qui appellent ensuite à voter le candidat allié au second tour. Néanmoins le lien direct entre le candidat et cette partie du peuple, n'est pas direct , puisque le Président élu n'a pas été le choix du second tour, le premier choix des électeurs ralliés. Cela atténue l'idée de l'homme providentiel, en lien direct avec le peuple, car il y'a toujours des partis politiques, des leaders et autres intermédiaires, entre le candidat et le peuple des électeurs , pas tout le peuple.

D'ailleurs sur 6,4 millions d'électeurs pour 22 millions d'habitants, avec un président pouvant élu avec deux millions de voix , selon le taux de participation, sans aucun chiffre obligatoire à atteindre, ne faut-il pas relativiser cette adhésion du peuple dans sa perception mythique et même mystique, à un candidat présidentiel. L'idée de la présidentielle qui se définirait comme une rencontre d'un candidat providentiel avec le peuple, qui se promène dans la stratosphère des idées, ne correspond pas toujours aux réalités électorales, encore moins à l'arithmétique politicienne, aux effets de l'usure du pouvoir pour un gouvernement ou du discrédit dont peuvent souffrir certains candidats.

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Les effets du suffrage universel ne correspondent pas à tous les espoirs mis en lui par un grand nombre d'électeurs, d'où le nombre important d'abstentions et le discrédit de plus en plus grand de la parole politique, sans oublier que vous-même vous avez dit au cours de la même interview, que les promesses n'engagent que ceux qui y croient. Cela signifie que les promesses n'engagent pas ceux qui les font. Vous invitez le peuple à se méfier de la parole politique en général, sauf la vôtre peut-être ! Croyez-moi, Monsieur le Président du comité politique, l'élection présidentielle est une élection comme les autres.

Voilà, Monsieur le Président du comité politique, ces quelques idées que je voulais partager avec vous, en espérant n'avoir pas dit des mots ou expressions pouvant vous vexer ! Si tel était le cas, je vous prie de m'en excuser , et je vous assure hinc et nunc, de meilleurs efforts pour qu'il n'en soit plus ainsi dans d'éventuels autres lettres, que je pourrais vous adresser, dans le cadre de ce débat public et républicain que j'initie avec vous, et que je compte ouvrir à d'autres acteurs politiques de notre pays ! Fraternellement !

Written by Alafé Wakili

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