L'arrestation de Laurent Gbagbo le 11 avril 2011 reste gravée dans la mémoire collective ivoirienne. Quatorze ans après, le pays s'interroge sur les leçons de cette crise.
11 avril, jour de mémoire clivée en Côte d'Ivoire. Quatorze années se sont écoulées depuis l'arrestation spectaculaire de Laurent Gbagbo dans sa résidence assiégée de Cocody, point final d'une crise post-électorale meurtrière. Pour les uns, cette journée symbolise la fin d'un bras de fer qui paralysait le pays depuis cinq mois. Pour les autres, elle représente l'aboutissement d'une ingérence étrangère dans la souveraineté nationale.
Le journaliste Ferro Bally résume l'ampleur du traumatisme national: « 11 avril 2011 – 11 avril 2025. Il y a quatorze ans, la Côte d'Ivoire vivait la plus grave crise politique de son histoire: l'alternance dans une violence inouïe pour l'arrivée au pouvoir d'Alassane Ouattara. On dénombrera au moins trois mille morts ». Un bilan humain qui pèse encore lourdement sur la conscience collective ivoirienne.
Une mémoire de l'intervention étrangère
La participation des forces internationales dans l'arrestation du président sortant reste au cœur des controverses. Le récit de Ferro Bally rappelle cette dimension: « Dans le contentieux post-électoral, ce fut la loi du plus fort, impliquant l'intervention des forces étrangères (Casques bleus de l'ONU et forces françaises Licorne) ».
Cette intervention militaire directe a profondément marqué une partie de l'opinion publique ivoirienne. « À Laurent Gbagbo, le président sortant qui refusait de subir les injonctions (se soumettre ou se démettre), Nicolas Sarkozy a lancé ses troupes pour le « vitrifier » », poursuit le journaliste, évoquant le rôle controversé de la France dans cette opération.
Les méthodes employées suscitent toujours des interrogations. « Les poudrières des camps militaires seront pulvérisées. La résidence officielle des chefs d'État, où vivaient reclus Gbagbo et des membres de sa famille, sera massivement bombardée durant des jours pour l'arrêter, comme un scélérat », souligne Ferro Bally. Cette violence déployée contre un chef d'État en exercice reste un précédent troublant dans les relations internationales.
Les conséquences d'une crise profonde
La crise post-électorale a fait basculer la Côte d'Ivoire dans une violence extrême. Ses conséquences dépassent largement l'arrestation du président Gbagbo. Sur le plan humain, le bilan officiel fait état de plus de 3 000 morts dans les différentes phases du conflit. Des familles entières ont été déchirées, des quartiers dévastés, des communautés divisées.
Sur le plan économique, le pays a subi un recul significatif, avec la destruction d'infrastructures, la paralysie des activités pendant plusieurs mois et une perte de confiance des investisseurs. Le redressement économique entrepris depuis a permis de renouer avec la croissance, mais certaines cicatrices demeurent visibles dans le tissu social.
La crise a également laissé des séquelles durables dans le paysage politique. L'exil forcé de nombreux cadres proches de l'ancien régime, les procédures judiciaires engagées contre certains d'entre eux et la reconfiguration des forces politiques ont profondément transformé l'échiquier national.
Vers une réconciliation inachevée
Quatorze ans après les événements, la réconciliation nationale reste un chantier inachevé. Le retour de Laurent Gbagbo en Côte d'Ivoire en juin 2021, après son acquittement par la Cour pénale internationale, a constitué une étape symbolique, mais insuffisante pour panser toutes les plaies.
Les récentes prises de position de l'ancien président, notamment son retrait de la Commission électorale indépendante, témoignent des tensions qui persistent à l'approche de l'élection présidentielle d'octobre 2025. Comme l'écrit Ferro Bally: « Après avoir longtemps rusé et triché, les forces dites d'interposition dans la crise militaro-politique ivoirienne devenaient officiellement des belligérants ». Cette perception d'une justice à deux vitesses alimente encore les ressentiments.
La commemoration du 11 avril 2011 reste ainsi un exercice délicat dans une Côte d'Ivoire qui peine à construire un récit commun de son histoire récente. Entre devoir de mémoire et nécessité d'apaisement, le pays cherche encore la voie d'une réconciliation authentique, condition indispensable pour prévenir tout nouveau cycle de violence politique.
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