« L’incivisme des populations, une conséquence de la mal gouvernance des dirigeants » (ASK)

André Silver Konan, journaliste-écrivain, analyste politique
André Silver Konan, journaliste-écrivain, analyste politique

Invité à intervenir à (Nigéria), le 12 juillet 2018, en sa qualité d'analyste politique, à un panel d'experts, sur la sécurité en Afrique, organisé par la Friedriech-Ebert-Stiftung et les Nouvelles approches de sécurité collective, a déclaré que « L'incivisme est une conséquence, pas une cause ». Mal gouvernance en Afrique.

Mon intervention va tourner autour du thème suivant : « Quand le manque de gouvernance devient une source d'insécurité et un obstacle à la démocratie et au développement. Cas de la Côte d'Ivoire ». Je vais essayer de démontrer, par des faits précis, ce que la panne de gouvernance a provoqué comme cas précis d'insécurité, en Côte d'Ivoire.

Nous sommes en août 2016. Un jeune sergent de police est battu à mort à la gare routière d' (commune populaire d'), par une foule déchaînée. Quelques minutes plus tôt, il avait tiré mortellement sur un apprenti chauffeur. La cause de l'incident était d'une banalité révoltante : en descendant de son « gbaka » (minicar), l'apprenti chauffeur avait refusé de remettre au policier les quelques pièces qu'il lui devait, après avoir réglé son titre de transport. Deux morts gratuites, pour moins de 500 FCFA (moins d'un euro).

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Au cours de ces deux dernières années, quatre lynchages mortels visant des agents des forces de l'ordre et de sécurité ont éclaté en Côte d'Ivoire. Pas une seule personne n'a, jusque-là et à notre connaissance, été inculpée et condamnée pour homicide. Ici, il s'agit de violences exercées par des civils, sur des forces de l'ordre. Ces violences marquées par la vindicte populaire se nourrissent d'impunité, qui est l'une des plaies béantes de la panne de gouvernance en Afrique.

En Côte d'Ivoire, l'on peut dénombrer six formes d'insécurité provoquées par la mal gouvernance. Les trois premières impliquent les civils. Les violences exercées par les populations contre les forces de sécurité elles-mêmes, décrites plus haut.

Les violences exercées par les populations sur elles-mêmes (ce sont les conflits intercommunautaires, nous en avons dénombré pas moins de 14, au cours de ces 4 dernières années, la dernière qui a éclaté dans le centre-ouest du pays en novembre, a fait plusieurs morts, sans que personne n'ait été interpellé) et les violences exercées par les populations sur les symboles de l'Etat, les dernières étant l'incendie d'une mairie dans le sud-ouest, le saccage de brigades de gendarmeries dans le centre et le centre-ouest.

Trois autres formes d'insécurité sont à attribuer aux forces de sécurité elles-mêmes

Trois autres formes d'insécurité sont à attribuer aux forces de sécurité elles-mêmes. La première étant celle qui est causée par les militaires sur les symboles de l'Etat. L'exemple typique des mutineries. Au premier semestre 2017, la Côte d'Ivoire a vécu une série de mutineries souvent mortelles.

La deuxième est causée, toujours par les forces de l'ordre sur les populations. Elles ont très souvent un rapport avec le racket sur les routes. Sentiment d'impunité Voyons maintenant comment ces incidents ont un lien avec le manque de gouvernance. Sur le cas des violences exercées par des agents de sécurité sur les populations, l'on a un point commun : une affaire d'argent, donc le racket.

« Le racket sur les routes, impliquant des agents des forces de l'ordre et de sécurité, persiste en Côte d'Ivoire »

Dès lors, nous pouvons nous poser cette question : pourquoi des hommes armés font-ils prématurément usage de leurs armes ? La réponse peut être trouvée dans le manque de formation, mais aussi dans le sentiment d'impunité. Le racket sur les routes, impliquant des agents des forces de l'ordre et de sécurité, persiste en Côte d'Ivoire.

En effet, en dépit de timides inculpations et de tapageuses déclarations de bonne intention des autorités, il n'y a pas une réelle volonté de lutter contre le phénomène. Par ailleurs, si les populations continuent de faire justice elles-mêmes, c'est bien parce que d'une part, elles n'ont pas confiance dans les institutions. D'autre part, c'est aussi parce qu'elles sont assurées qu'elles ne risqueront rien après avoir fait leur acte criminel. Impunité.

Mal gouvernance en Afrique

Comme je l'ai dit, au cours de ces quatre dernières années, pas moins de huit affrontements inter-communautaires ont éclaté dans les quatre coins du pays, occasionnant des dizaines de morts. Pas une seule personne n'a été jugée dans le cadre de ces affaires. Pas étonnant, dans ces conditions, que les populations aient de plus en plus recours à une justice expéditive, visant aussi bien des civils que des hommes armés.

« Les comportements inciviques de ces derniers mois nous interpellent tous. Ils sont contraires à l'idéal de société que nous voulons bâtir »

De même, les émeutiers et manifestants s'en prennent à des bâtiments administratifs qui incarnent, à leurs yeux, la corruption, l'impunité et l'injustice. Le malaise est profond, le président l'admet : « Les comportements inciviques de ces derniers mois nous interpellent tous. Ils sont contraires à l'idéal de société que nous voulons bâtir ».

Mais il ne faut pas s'y méprendre. La colère s'enracine dans la pauvreté et les inégalités. Dans son dernier rapport, la Banque mondiale a reconnu que « depuis la sortie de crise en 2012, la performance de l'économie ivoirienne a été remarquable avec un taux de croissance par habitant supérieur à 5 % par an ».

Travailler plus ne veut pas dire gagner plus

Mais aussi que « malgré cette embellie, le niveau actuel du revenu par habitant reste aujourd'hui inférieur à celui du début des années 1980 ». Selon l'institution financière, « l'examen des facteurs de croissance économique […] montre que si le taux d'emploi a fortement augmenté, les revenus n'ont pas suivi la même évolution positive ».

Traduction simple : travailler plus ne veut pas dire gagner plus. Une situation qui crée nécessairement des frustrations, lesquelles explosent à la moindre étincelle. J'ai souvent entendu des gens dire qu'en Afrique, l'incivisme des populations est la cause de nombreuses formes d'insécurité. Je m'inscris en faux.

L'incivisme des populations est une conséquence, elle n'est pas une cause. Elle est la conséquence de la panne de gouvernance de certains de nos dirigeants. Mettez fin au racket sur nos routes, et vous n'entendrez plus parler de violences sur les routes, causées par le racket.

« Mettez fin à l'impunité et sanctionnez vos collaborateurs corrompus dans les administrations publiques et le citoyen lamda réfléchira par deux fois, avant de chercher à corrompre un fonctionnaire »

Mettez fin à l'impunité et sanctionnez vos collaborateurs corrompus dans les administrations publiques et le citoyen lamda réfléchira par deux fois, avant de chercher à corrompre un fonctionnaire. Instaurez une justice équitable et le citoyen ordinaire ne se sentira plus obligé de se faire justice lui-même.

L'insécurité créée par le manque de gouvernance a un remède très simple et d'une implacable évidence : l'instauration de la bonne gouvernance. Les organisations régionales et continentales ont le devoir d'amener les dirigeants à établir des procédures publiques, et à définir des indicateurs généraux, sans lesquels, des dirigeants ne sauraient être classés dans la catégorie des bons gestionnaires.

L'indice Moh Ibrahim étant un exemple à multiplier. Mais il ne faut pas s'y méprendre : l'instauration d'une meilleure gouvernance en Afrique ne sera effective que si les populations elles-mêmes commencent à être exigences envers leurs dirigeants, commencent à leur réclamer des comptes et commencent à les sanctionner par les urnes.

André Silver Konan

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