Me Ramsamy : « Ouattara oublie que seul lui et son camp n’ont encore rendu compte des massacres depuis 2002 »

Me Ramsamy avocat du barreau de Paris s'exprime sur le procès du 6 février à la CPI dans l'affaire Gbagbo et rappel à Ouattara la rébellion ivoirienne 2002.

II. LA PORTE-T-ELLE UN PROJET POLITIQUE POUR LE COMPTE DU GOUVERNEMENT IVOIRIEN ?

La Procureure et le Président de la Cour s'en défendent sans vraiment convaincre. La décision du 1er février 2019, qui impose des restrictions aux libertés à , fragilise la position du Président de la Cour qui est en même temps le Président de la Chambre d'Appel, à l'origine de cette décision scandaleuse. Certes, l'article 81 du Statut prévoit, sous forme de mesures conservatoires, qu'un acquitté puisse être maintenu sous un régime quelconque de restriction de libertés, mais cette mesure est strictement encadrée de sorte à éviter toutes les formes d'abus de la part des magistrats de la Cour. La Procureure qui s'oppose à la libération totale d'un acquitté doit en donner les raisons exceptionnelles.

Faut-il rappeler que la gravité des crimes allégués ne peut en aucun cas faire partie de ces raisons exceptionnelles comme nous l'avons exposé ci-avant. Le caractère commun de tous les crimes poursuivis par la CPI reposant justement sur leur gravité. Un caractère ne peut pas être à la fois commun et exceptionnel aux mêmes circonstances et aux mêmes faits. Le critère de gravité des crimes n'est pas lié au cas particulier de Laurent GBAGBO au point d'en constituer une exception au sens de l'article 81 précité.

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La Procureure, pour convaincre la Cour, doit rechercher les conditions exceptionnelles qu'emporte le cas particulier de Laurent GBAGBO. Faut-il rappeler que l'exceptionnalité des raisons de détention ne peut en aucun cas se mesurer à l'identique suivant qu'il s'agit d'une personne poursuivie ou d'une personne acquittée. Les raisons qui justifient que l'on refuse la liberté provisoire à un accusé sont inopérantes dans le cas d'une personne acquittée. Cela s'expliquant par le fait que si le premier est présumé innocent, le second est déclaré innocent. Il ne s'agit pas d'une simple nuance. Il s'agit plutôt d'une différence abyssale entre les deux statuts.

En ce qui concerne Monsieur Laurent GBAGBO acquitté, la Procureure aurait dû fournir mieux que ce qu'elle avait l'habitude d'avancer pour s'opposer à sa libération pure et simple.
Par exemple, prouver que Laurent GBAGBO a, ne serait-ce qu'une seule fois, entrepris une tentative d'évasion de son chef ou de celui des supposés réseaux qui le soutiennent. Ou encore qu'il a manifesté, pendant sa très longue détention, une hostilité à la Cour ou adopté une attitude de défiance vis-à-vis de la Cour qui laisserait croire qu'il s'opposerait à son procès. Au demeurant, Laurent GBAGBO n'est plus Chef d'Etat et ne dispose d'aucune force qui pourrait s'opposer à son éventuel retour à la CPI.

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Son transfèrement le 29 novembre 2011 sans accroc en est la preuve la plus évidente. Le fait que Monsieur Ouattara allègue ne plus envoyer d'Ivoirien à la CPI, pour protéger son propre camp, ne peut constituer une raison exceptionnelle imputable à Laurent GBAGBO. Dès lors, reste-t-il encore une quelconque raison qui justifierait le maintien loin de son pays, et sous le régime de la liberté conditionnelle, de cet homme de 75 ans de surcroît acquitté de toutes les charges retenues contre lui ? La réponse est malheureusement oui. Cette raison n'est cependant pas d'ordre judiciaire mais politique…

Cela apparait flagrant à la lecture des observations écrites de l'Etat de Côte d'Ivoire qui tente grossièrement de cacher cette motivation politique dans un habillage juridique, tout en tentant de camoufler l'actualité politique interne. La Côte d'Ivoire doit aller à une élection présidentielle en 2020. Monsieur Ouattara veut manifestement en maîtriser tous les contours, soit à son propre bénéfice, soit pour le compte de l'un de ses poulains. La mise à l'écart de ses adversaires les plus sérieux lui permettrait de s'assurer de sa main mise sur cette élection.
L'illustration la plus flagrante est la lourde condamnation par contumace de Laurent GBAGBO pour des faits portant sur un prétendu vol à la BCEAO, des faits tombant pourtant sous le coup de l'Ordonnance d'Amnistie prise par Monsieur Ouattara…

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Monsieur Blé Goudé n'a pas échappé au même sort. Ses avocats soutiennent que sa condamnation porte sur des faits qui sont quasiment identiques à ceux pour lesquels il a été jugé et acquitté par la CPI. Cette dernière condamnation pose, une fois encore, les limites de la CPI. Comme n'importe quel traité, le Statut de Rome semble malheureusement soumis au bon vouloir des princes des puissances signataires. Dans la même logique, Monsieur Soro Guillaume, ancien patron déclaré de la rébellion qui a porté au pouvoir, ancien Président de l'Assemblée Nationale et député, surtout candidat déclaré à la prochaine élection, est contraint à l'exil et à la vie clandestine. Il est visé par un mandat d'arrêt international relatif à plusieurs chefs d'accusation qui vont de la tentative de déstabilisation du régime au détournement de deniers publics.

Lui aussi se défend en disant que tout est mis en œuvre par Alassane Ouattara pour l'écarter de l'élection présidentielle de 2020. Par ailleurs, Alassane Ouattara ne cache pas non plus sa volonté de changer la constitution, votée il y a à peine 2 années, pour renforcer sa domination sur le processus électoral. Dans de telles circonstances, comment la CPI pourrait-elle faire droit à la demande de l'Etat de Côte d'Ivoire et de la Procureure de maintenir Laurent GBAGBO, déjà acquitté, loin de la Côte d'Ivoire sans apparaître comme complice de cette volonté politique d'Alassane Ouattara d'écarter tous ses adversaires politiques. Surtout que l'Etat ivoirien ne donne aucune raison sérieuse qui puisse justifier l'intérêt de son opposition au retour de Laurent GBAGBO dans son pays.

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En effet, l'argument du risque de troubles et d'atteinte à la cohésion nationale que son retour pourrait causer est très peu pertinent comme raison pour justifier son isolement. Les dernières élections locales organisées entre anciens alliés de la rébellion et de la coalition au pouvoir, auxquelles n'a pas participé le parti de Laurent GBAGBO, ont occasionné plus d'une dizaine de morts, et plongé le pays dans une tension sociale énorme. Or, ces élections sont généralement les moins contestées en Côte d'Ivoire. Cette élection mineure, qui a engendré autant de violence, a été un bon baromètre pour jauger l'état de la réconciliation en Côte d'Ivoire, hantée par la rébellion de 2002 et « sa fille » : la crise post-électorale de 2011.

Tout le monde reconnaît aujourd'hui l'échec de Monsieur Ouattara dans la réconciliation. En revanche, une opinion majoritaire, de plus en plus croissante même au sein de l'ancienne coalition qui l'a renversé en 2011, pense que la mise à l'écart de Laurent GBAGBO participe du blocage de la réconciliation. La visite que lui a rendue, à Bruxelles, Monsieur Henri Konan Bédié, Président du PDCI, lui aussi candidat putatif à l'élection de 2020, illustre, si besoin en était encore, que Laurent GBAGBO constitue un maillon essentiel au rapprochement des .

Par ailleurs, sauf à vouloir transformer la CPI en Cour d'inquisition dont la condamnation des accusés est automatique, l'acquittement de Laurent GBAGBO faisait partie des deux dénouements possibles d'un procès devant n'importe quel tribunal. Dans tous les cas de figure, la Chambre d'Appel est obligée de se prononcer sur l'appel interjeté par la Procureure contre le jugement d'acquittement rendu en première instance. Si elle confirme la décision de première instance, que fera-t-elle de Laurent GBAGBO ? Le garderait-t-elle sous surveillance loin de la Côte d'Ivoire parce que son retour y causerait des troubles. Ou doit-on envisager que, pour la seule et unique raison de troubles allégués mais jamais démontrés, la Chambre d'Appel refuserait d'analyser de façon impartiale l'affaire dont elle est saisie en appel et dont il est simplement sollicité un non-lieu au lieu d'un acquittement, pour maintenir Laurent GBAGBO hors de son pays parce que le gouvernement ivoirien le lui demande ?

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Dans les motivations écrites de leur jugement d'acquittement, les juges de la Chambre de Première Instance ont relevé avec pertinence que leur décision n'occulte pas le fait établi qu'il y a eu de la souffrance causée aux populations pendant la crise post-électorale. Bien que comprenant cette souffrance, ils ont pris la décision, après analyse des preuves que l'accusation a présentées au soutien de ses allégations. Ces preuves se sont avérées d'une exceptionnelle faiblesse. Mieux, ces preuves n'étayaient en rien la thèse de l'accusation. Dans une telle occurrence, la seule issue de ce procès qui s'imposait à eux était l'acquittement. La Procureure ne dit pas autre chose, sinon elle n'aurait pas demandé dans son appel que la chambre d'appel annule toute la procédure qui a duré plus de 8 ans afin de lui permettre de mieux représenter son cas.

La CPI, qui continue de chercher ses marques et qui entend surtout se présenter comme le dernier rempart contre l'arbitraire, ne peut se permettre de telles transgressions au droit, à la morale et au bon sens. Oui, il faut avoir l'honnêteté intellectuelle de reconnaître que le maintien en détention sous quelle que forme que ce soit de Messieurs Laurent GBAGBO et Charles Blé Goudé, pourtant acquittés, constitue une jurisprudence dangereuse pour le droit, pour la justice, pour la morale et pour l'éthique d'une communauté internationale qui se proclame civilisée.

Les 6 et 7 Février prochains, le monde entier regardera du côté de la CPI pour voir si vraiment elle peut sauver encore le peu de crédit qui lui reste. Car assurément, ses errements dans l'affaire Laurent GBAGBO ont montré l'étendue de ses faiblesses. Pour démontrer le contraire, la Chambre d'Appel n'a pas d'autre choix que de revenir sur sa décision du 1er février 2019 qui constitue une jurisprudence très dangereuse.

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Dans ses observations écrites, et pour s'opposer à la levée des conditions restrictives imposées à Monsieur Laurent GBAGBO, Monsieur Alassane OUATTARA, non sans rire, et en se référant au Président , fait dire à ses avocats que : « Il n'y a pas de réconciliation sans justice et il n'y a pas de justice sans reconnaissance de l'indépendance et de l'impartialité́ de ceux qui la rendent. Le nier serait éminemment contraire aux principes posés par le Président Nelson Mandela (…) ».

Monsieur Alassane OUATTARA omet cependant de préciser que seul le Président GBAGBO et son entourage ont dû rendre compte devant la justice nationale et internationale. Monsieur Alassane OUATTARA oublie encore que seul lui et son camp n'ont encore jamais rendu compte pour les graves massacres intervenus en Côte d'Ivoire depuis 2002, et notamment le génocide du peuple wê intervenu dans l'Ouest de la Côte d'Ivoire et pour lesquels son armée est fortement suspectée.

Malheureusement, la seule personne qui nie cette évidence, et donc qui met à mal la réconciliation nationale est bien Monsieur Alassane OUATTARA lui-même. Enfin, et pour citer le regretté Président Nelson MANDELA : « Un homme qui prive un autre homme de sa liberté est prisonnier de la haine, des préjugés et de l'étroitesse d'esprit » (Un long chemin vers la liberté). Il serait temps que Monsieur Alassane OUATTARA se libère de sa haine, de ses préjugés et de son étroitesse d'esprit au lieu de tenter de les étendre à la Cour Pénale Internationale.

La CPI est ainsi à la croisée des chemins et devra faire un choix : Appliquer le droit indépendamment de toute influence étatique ou faire de la politique en rendant service à un Chef d'État politiquement isolé.

Written by Alexandre Ramsamy

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