Endettement de la Côte d’Ivoire: et si on y jetait un coup d’œil ? selon Steve Beko

La politique d'endettement de la Côte d'Ivoire telle que pratiquée par le pouvoir RHDP est-elle viable, soutenable sur le long terme.

Le 21 novembre 2022, lors d'une conférence de presse, le premier ministre a lancé aux ivoiriens qui se questionnent sur la gouvernance du régime : « Vous ne voyez pas encore mais nous qui voyons, taisez-vous et laissez-nous travailler ».

Je suis désolé pour Patrick Achi mais ne nous pouvons pas nous taire. D'abord parce que, quitte à vouloir diriger un peuple d'attardés, il est logique que le peuple questionne sur la gouvernance mais aussi et surtout parce qu'il a été ministre des infrastructures de notre pays pendant une dizaine d'années avant de revenir nous expliquer que les infrastructures n'étaient pas la priorité du président laurent Gbagbo. Cela ne l'a pas empêché de demeurer au gouvernement. Qu'est ce qui prouve que dans quelques années, il ne viendra pas nous dire que la surfacturation des infrastructures était une idée de ? Le gouvernement dirige le ministère de l'action, les citoyens et l'opposition dirigent le ministère de la critique. Que chacun reste dans son rôle.

Une fois que cela est précisé, entrons dans le vif du sujet et parlons de l'endettement.

𝐄𝐧𝐝𝐞𝐭𝐭𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭 𝐝𝐞 𝐥𝐚 𝐂𝐨̂𝐭𝐞 𝐝'𝐈𝐯𝐨𝐢𝐫𝐞 : 𝐞𝐭 𝐬𝐢 𝐨𝐧 𝐲 𝐣𝐞𝐭𝐚𝐢𝐭 𝐮𝐧 𝐜𝐨𝐮𝐩 𝐝'œ𝐢𝐥 ?

En 2010, le budget de la Côte d'Ivoire s'établissait autour de 2627 milliards de FCFA, le pays ayant pu mobiliser, au travers de ses recettes fiscales et douanières, quelque 2000 milliards FCFA, quand le recours aux partenaires extérieures – appelons un chat, un chat, l'endettement – a permis de récolter un peu plus de 300 milliards FCFA, cette somme ayant, en grande partie, servi au financement de l'élection présidentielle de 2010. Le pourcentage de la dette dans le budget de 2010 s'établissait donc autour de 10%, puisqu'une partie de la somme précédemment mentionnée était constituée de dons de la communauté internationale pour financer le processus de sortie de crise.

Le budget de la Côte d'Ivoire pour 2023 s'élève à 11 000 milliards FCFA dont 3000 milliards de dettes à contracter, soit environ 30% des ressources attendues par le gouvernement au titre de l'année 2023. C'est un secret de polichinelle, depuis une décennie, la dette de la Côte d'Ivoire a explosé de manière exponentielle. D'un montant de 6000 milliards dans les années 2010-2011, avant le point d'achèvement de l'initiative PPTE, la dette de la Côte d'Ivoire, dix ans plus tard s'établit autour de 23000 milliards, malgré l'allègement qu'elle a connu au titre de l'initiative des pays pauvres très endettés.

𝐃𝐞 𝐥'𝐮𝐭𝐢𝐥𝐢𝐬𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐝𝐞 𝐥𝐚 𝐝𝐞𝐭𝐭𝐞

Il conviendrait par conséquent de se demander à quoi ont servi ces sommes ? A la reconstruction post-conflictuelle de la Côte d'Ivoire et au financement des grands projets d'infrastructures économiques, nous dit le gouvernement. Cette réponse parait trop générale pour qu'elle puisse satisfaire la curiosité d'une personne qui s'intéresse à la gestion de la chose publique.
Il serait, peut-être, plus judicieux que je précise ma pensée : dans le détail, à quoi ont concrètement servi les 23000 milliards FCFA de dettes contractées par la Côte d'Ivoire ?

Je vois, sur certains spots publicitaires des organismes gouvernementaux et forums des réseaux sociaux, une liste des réalisations du pouvoir RHDP, lesquelles réalisations sont à apprécier à leur juste valeur pour un pays pauvre comme le nôtre. Mais il serait intéressant d'avoir un rapport chiffré de tous les projets réalisés par le RDR devenu RHDP depuis son accession au pouvoir en 2011. A titre d'exemple, le pont HKB, projet majeur du premier mandat du pouvoir RDR a coûté 177 milliards de nos francs toutes taxes comprises et l'autoroute Singrobo- Yamoussoukro 136 milliards FCFA.

C'est de ce rapport chiffré de la gouvernance du RDR- RHDP dont j'aimerais prendre connaissance, parce qu'à mon avis, le montant de la dette comparé aux réalisations qu'il nous est donné de voir ou que le gouvernement annonce, à coût de grande publicité, semble excessif. Vu que nous pouvons nous méprendre sur notre constat, il serait judicieux, d'avoir un rapport chiffré de toutes les réalisations du pouvoir RHDP. Cela nous permettra de savoir si la dette a uniquement servi à la réalisation des infrastructures économiques et si les ressources propres de la Côte d'Ivoire – recettes fiscales, douanières etc. – ont, à leur tour, été mobilisées à cet effet. Cela nous permettra également de savoir si la dette a servi au paiement des sommes d'argent réclamées par les mutins lors des évènements malheureux de janvier 2017, ou si une partie de cette manne financière a fait l'objet de détournement par les dirigeants des organismes publics tels que le FER, qui gère une partie des montants destinés à l'entretien des infrastructures routières.

A ce propos, et sans que cela ne constitue l'objet de la présente contribution, il conviendrait que le gouvernement rende publics les résultats des audits commandités dans les différentes entreprises dont les patrons ont été évincés.

𝐂𝐨𝐦𝐦𝐞𝐧𝐭 𝐥𝐞𝐬 𝐩𝐫𝐢𝐨𝐫𝐢𝐭𝐞́𝐬 𝐬𝐨𝐧𝐭-𝐞𝐥𝐥𝐞𝐬 𝐜𝐡𝐨𝐢𝐬𝐢𝐞𝐬 ?

Au-delà du stock de la dette qui est extrêmement élevé, il convient de se demander si les sommes contractées sont utilisées à bon escient, injectées dans les secteurs d'activités qui sont susceptibles de rapporter une plus-value à notre économie. Quels sont, par exemple, les critères qui permettent au gouvernement de réaliser le bitume entre Divo-Guitry-Grand-Lahou, plutôt que celui entre Daloa-Issia-Igbogue, deux zones cacaoyères ?

Certaines mauvaises langues ont vite fait d'établir une corrélation entre la réalisation d'infrastructures routières et les visées électoralistes de certains barons du pouvoir, mais je ne saurai, faute de données fiables, donner du crédit à de telles allégations. Toutefois, il serait judicieux que le gouvernement renseigne sur les motivations qui guident la sélection des projets à réaliser dans telle ou telle région.

Pourquoi un gratte-ciel plutôt qu'une usine de transformation de matières premières ? Pourquoi un pont routier à haubans dans la commune de Cocody plutôt que des infrastructures routières dans les zones cacaoyères ou minières ? Quelles est la plus-value de ces infrastructures à cours, moyen et long terme ? Le premier ministre Patrick Achi nous a demandé de nous taire et de laisser travailler le gouvernement, j'aurais aimé le faire, si mon avenir et celui de mes enfants n'en dépendait pas. Alors je suis en droit de m'interroger sur l'utilisation des fonds contractés au titre de la dette, puisque nous sommes tous emmenés, à quelque niveau que ce soit, à procéder à son remboursement vu que la dette par habitant de la Côte d'Ivoire s'établit autour de 1000 euros, soit le double de ce qu'elle était en 2010. J'aimerais donc que le gouvernement m'explique de manière concise ce qu'il fait avec les dettes contractées en mon nom et celui de mes enfants.
Nous ne nous rendons peut-être pas compte aujourd'hui, mais l'endettement massif, mal maitrisée peut avoir des conséquences désastreuses sur l'économie d'un pays. Qui ne souvient pas des rumeurs concernant la saisie par la Chine du port de Mombassa en raison de l'incapacité du Kenya à faire face à ses engagements vis-à-vis de ses créanciers internationaux ?

Je me rappelle des pleurs, en décembre 2011, de la ministre italienne des Affaires sociales lors de l'annonce du plan d'austérité consécutif à la dette colossale contractée par le pays. Je me souviens encore de l'instabilité politique qui s'était emparé de la Grèce en proie avec la restructuration de sa dette ou de la crise argentine de la dette. Plus près de nous, le Ghana voisin fait face à une crise économique sans précédent précipitant le pays au bord de la cessation de paiement.

Alors, je m'interroge, la politique d'endettement de la Côte d'Ivoire telle que pratiquée par le pouvoir RHDP est-elle viable, soutenable sur le long terme, surtout quand on sait que le candidat Ouattara, ancien haut fonctionnaire du FMI, avait déclaré que 6000 milliards de dettes constituait un boulet pour un pays comme la Côte d'Ivoire. Si 6000 milliards FCFA de dettes constituaient un boulet, alors que représente aujourd'hui 23000 milliards FCFA de dettes, soit 52% de notre PIB, là où l'initiative PPTE l'avait fait retomber à 25% du PIB ?

Alors oui, je m'attends à ce qu'on me sorte des chiffres macro et micro économiques. On va me dire que notre pays s'endette bien. Que son taux d'endettement est en deca de celui recommandé dans la zone Uemoa. On va, comme le ministre Cissé Bacongo me dire que les enfants d'un historien ne peuvent pas parler économie avec les enfants d'un économiste. Je sais tout ça. Mais les historiens ont ceci de particulier qu'ils s'attachent aux faits.

𝐐𝐮𝐞𝐬𝐭𝐢𝐨𝐧𝐧𝐨𝐧𝐬 𝐥𝐞𝐬 𝐟𝐚𝐢𝐭𝐬

De 1960 à 2011, date à laquelle Alassane Ouattara prend le pouvoir, la dette de la Côte d'Ivoire était d'environs 6.000 milliards. Elle a aujourd'hui été multiplié par 4 en seulement 15 années. C'est-à-dire qu'en 15 ans, nous nous sommes endettés quatre fois plus qu'en 51 ans.
C'est avec les 6.000 milliards de dettes que nous avons construit le Plateau, la ville de Yamoussoukro, les deux ports, l'aéroport, etc. Si on s'est endetté quatre fois plus, pourquoi nous n'avons pas quatre Plateau ? Pourquoi nous n'avons pas quatre fois plus d'universités ? Pourquoi nous n'avons pas quatre fois d'aéroports ? Pourquoi le taux de chômage n'est pas divisé par quatre ? Avons-nous quatre fois plus de routes bitumées ? Le coût de la vie a-t-il été devisé par 4 ? Même si on tient compte de l'augmentation du coût des matériaux, pourquoi n'avons nous pas au moins deux fois plus que ce que nous avions ?

Voici comment les enfants des historiens posent des questions simples en espérant des réponses simples.

Written by Steve Beko

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