CEI, Ouattara et son gouvernement hors-la-loi : la preuve par trois

Arsène Touho
Arsène Touho

Alors qu'intellectuels ivoiriens, société civile, partis politiques et juristes se succèdent pour exiger la réforme de la Commission électorale indépendante, une institution qui n'est plus conforme à la loi depuis au moins deux ans, le gouvernement ivoirien fait la sourde oreille et tente de justifier l'injustifiable.

Cette CEI est bel et bien illégale

Si on peut comprendre que des cadres militants du RDR, en supporters déraisonnés, se sentent obligés d'insulter leurs qualification et responsabilité pour faire passer le coup de force coutumier du RDR pour du droit, il est difficilement acceptable que des autorités étatiques comme Bruno Konéet le Premier ministre Gon Coulibaly se dressent dans les attributs de l'Etat pour promouvoir et justifier l'illégalité. Et pourtant, la vérité est implacable : cette est bel et bien illégale. Et M. trône indignement à sa tête, traînant avec lui le symbole de l'illégalité et du désordre dont il est volontairement devenu le symbole en Côte d'Ivoire. Quand nous disons que cette CEI est illégale, c'est aussi bien au regard du droit positif ivoirien (I) qu'en considération du droit communautaire africain auquel la Côte d'Ivoire a librement souscrit (II).

  • UNE CEI ILLEGALE DU POINT DE VUE DU DROIT INTERNE :

La commission Electorale Indépendante, à ce jour est une institution hors la loi en Côte d'Ivoire. Cela est d'autant plus certain qu'elle est « en conflit » avec la loi qui l'a créée (A), en plus d'être en délicatesse avec la norme fondamentale de notre pays (B).

le président de la CEI est élu par la commission centrale parmi ses membres pour une durée de six ans. Il doit être une personnalité connue pour sa respectabilité, sa probité et son impartialité. Le mandat de président n'est pas renouvelable

A°/ Une institution « en conflit avec la loi » dont elle est issue

L'article 9 de la loi organique de 2004 portant organisation et fonctionnement de la CEI dispose : « le président de la CEI est élu par la commission centrale parmi ses membres pour une durée de six ans. Il doit être une personnalité connue pour sa respectabilité, sa probité et son impartialité. Le mandat de président n'est pas renouvelable ». M. Youssouf Bakayoko a été nommé à la tête de la CEI le 25 février 2010, par . Le 25 février 2016 son mandat était arrivé à expiration. Donc depuis le 25 février 2016 à minuit, M. Youssouf Bakayoko est un clandestin à la tête de la CEI. Si cette situation illégale ne le gêne pas outre mesure, c'est certainement parce que M. Auguste Miremont (UDPCI) et M. Jacob Anaky (MFA) sont à la CEI depuis 2005.

Youssouf Bakayoko n'a jamais été vice-président de la CEI, à fortiori 1er vice-président dans l'ordre de préséance

Interrogé, M. Youssouf Bakayoko prétend qu'il aurait été nommé à la tête de la CEI en remplacement de M. Beugré Mambé pour terminer le mandat de celui-ci en tant qu'intérimaire. C'est une affirmation mensongère car aux termes de l'article 11 alinéa 3 de la loi organique, « l'intérim du Président est assuré par les vices présidents dans l'ordre de préséance ». Or M. Youssouf Bakayoko n'a jamais été vice-président de la CEI, à fortiori 1er vice-président dans l'ordre de préséance.

Il faut noter que l'article 10 de cette même loi organique fixe la durée du mandat des vices présidents à trois ans en mentionnant que ce mandat « est renouvelable une fois ». Cela signifie que quand la loi avait voulu un mandat renouvelable, elle l'a expressément exprimé. Donc lors de la révision de cette loi en 2004, si le pouvoir Ouattara voulait éterniser M. Youssouf Bakayoko à la tête de la CEI, il avait la possibilité de traduire sa volonté dans cette loi.

Si le pouvoir Ouattara n'est pas gêné par la non-conformité de la CEI à la loi organique ayant créé cette loi, c'est justement parce que cette institution viole la Constitution ivoirienne sans que cela ne dérange personne au sein de l'exécutif ivoirien.

B°/ Une institution en délicatesse avec la Constitution ivoirienne

D'après l'article 51 alinéa 3 de la Constitution : « La Commission indépendante chargée de l'organisation du référendum, des élections présidentielle, législatives et locales, dans les conditions prévues par la loi, est une Autorité administrative indépendante. Une loi détermine ses attributions, son mode d'organisation et de fonctionnement ».

Peut-on objectivement considérer la CEI actuelle comme une autorité indépendante ?

Peut-on objectivement considérer la CEI actuelle comme une autorité indépendante ? NON. La raison est toute simple : depuis le 25 février 2016 à minuit, le Président et le bureau actuel ne doivent plus leur présence au sein de l'institution à la loi ; mais à la volonté personnelle du chef de l'Etat qui les y maintien de force. Il existe dès lors, une forte présomption de partialité dont ils peuvent se sentir redevables vis-à-vis de celui qui les maintient à ces responsabilités en toute illégalité.

Plus loin, l'article 90 alinéa 3 pose que c'est une loi organique qui « fixe le nombre des membres de chaque chambre, les conditions d'éligibilité et de nomination, le régime des inéligibilités et incompatibilités, les modalités de scrutin ainsi que les conditions dans lesquelles il y a lieu d'organiser de nouvelles élections ou de procéder à de nouvelles nominations, en cas de vacance de siège de député ou de sénateur ». En lieu et place d'une loi organique qui devait organiser les futures élections locales, c'est plutôt une ordonnance que le chef de l'Etat a prise le 14 février 2018 pour appeler à ces consultations populaires. Or Dans la hiérarchie des normes, la loi organique se situe en dessous de la Constitution mais au-dessus des lois ordinaires à l'intérieur desquelles on trouve les ordonnances. M. ne saurait donc substituer une ordonnance à une loi organique pour fixer la date et l'organisation des élections.

Par ailleurs, pour justifier cette forfaiture, certains partisans du chef de l'Etat affirment que « la Loi de finances 2018 en son article 12, autorise expressément le Président de la République à prendre pour l'année 2018, toutes les mesures dans le cadre de l'exécution de son programme. Cela signifie que l'Assemblée Nationale a donné son accord au Président pour agir par ordonnance ». C'est une interprétation malveillante et malhonnête qui tente vainement de prostituer l'objet et la matière de cette loi de finance. Forcément cela appelle de notre part une nécessaire élucidation de la notion de loi de finance ainsi que de sa portée, à la lumière desquelles la tentative de hold-up du Gouvernement Ouattara sera dévoilée.

D'une part, la loi de finance fixe, pour l'exercice budgétaire d'une année donnée, la nature, le montant et l'affectation des ressources et des dépenses de l'Etat. Quelles que soient les trois principales formes qu'elles peuvent prendre (lois de finances initiale, lois de finances rectificatives, lois de règlement), le champ des lois de finances comprend un « domaine réservé », sur lequel d'autres lois ne peuvent intervenir. Ainsi, la loi de finance du 15 décembre 2017 dont l'objet est précis qui concerne l'exécution des dépenses de l'Etat pour l'année 2018 ne saurait servir de fondement légal au chef de l'Etat pour lui adjoindre un autre objet à son objet qui lui incompatible : celui de l'organisation des élections locales.

D'autre part, selon les supportes de M. Ouattara, la loi de finance de décembre 2017 parlerait « d'exécution du programme » du Chef de l'Etat. Or le programme du chef de l'Etat renvoie à la mise en œuvre chronologique des actions liées à la réalisation de son projet de société. L'organisation des élections ne fait pas partie du projet de société d'un Chef de l'Etat. Cela est d'autant plus incontestable qu'il ne figure pas dans le programme de gouvernement de M. Ouattara l'organisation des élections. Les élections constituent une activité étatique prévue et organisée par la Constitution et relèvent des prérogatives de l'assemblée nationale qui vote la loi organique qui organise ces élections.

L'illégalité de la CEI dont la démonstration vient ainsi d'être faite au regard du droit interne ivoirien n'envie rien à son illégalité vis-à-vis du droit communautaire africain.

UNE ILLEGALITE AU REGARD DU DROIT COMMUNAUTAIRE AFRICAIN

 

A°/ Une résistance indigne et déloyale à la décison de la Cour africaine des droits de l'Homme et des peuples

En novembre 2016, la Cour africaine des droits de l'Homme et des peuples (CADHP) saisie d'une plainte pour déséquilibre à la CEI, au profit de la mouvance présidentielle, par Actions pour la protection des droits de l'homme (APDH, association ivoirienne de promotion des droits de l'homme) a confirmé que la composition de la CEI « viole le droit à l'égalité de tous devant la loi, ainsi que le droit d'avoir un organe électoral national indépendant et impartial, chargé de la gestion des élections, prévus par les articles 10 (3) et 17 (1) de la Charte africaine sur les élections ». La CADHP a ainsi « ordonné » à l'Etat de Côte d'Ivoire de rendre conforme sa loi électorale aux instruments internationaux, dont la Charte africaine sur les élections.

Le Gouvernement ivoirien se comporte comme un mauvais justiciable du droit communautaire africain

Le refus de l'Etat de Côte d'Ivoire de se conformer à cette injonction (ce n'est pas une recommandation) relève d'un comportement déloyale parce que le Gouvernement a plaidé à ce procès après avoir fait appel du jugement rendu en première instance. Le Gouvernement ivoirien se comporte comme un mauvais justiciable du droit communautaire africain.

B°/ Un manquement flagrant aux engagements internationaux de la Côte d'Ivoire

En choisissant de résister à se conformer à la décision de le CADH, le Gouvernement viole le paragraphe 10 du préambule de la Constitution ivoirienne : « Réaffirmons notre détermination à bâtir un État de droit dans lequel les droits de l'homme, les libertés publiques, la dignité de la personne humaine, la justice et la bonne gouvernance tels que définis dans les instruments juridiques internationaux auxquels la Côte d'Ivoire est partie, notamment la Charte des Nations unies de 1945, la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples de 1981 et ses protocoles additionnels, l'Acte constitutif de l'Union africaine de 2001, sont promus, protégés et garantis ».

Certains partisans du Chef de l'Etat n'ont pas manqué de mettre une couche fluorescente au ridicule en affirmant que l'Etat de Côte d'Ivoire n'est pas obligé d'appliquer les décisions de la CADHP. C'est une autre affirmation mensongère car l'article 30 du Protocole de Ouagadougou relatif à la Charte Africaine portant sur la Création d'une Cour Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, que la Côte d'Ivoire a signé le 09 juin 1998 avant de le ratifier le 07 juillet 2003 dispose que «Les Etats parties au présent Protocole s'engagent à se conformer aux décisions rendues par la Cour dans tout litige où ils sont en cause et à en assurer l'exécution dans le délai fixé par la Cour ».

Le Gouvernement ivoirien a cru trouver la parade pour se soustraire à son obligation d'obtempérer en introduisant une demande en interprétation de l'Arrêt de la CADHP. Manque de pot : car aux termes de l'article 66 du Règlement II de la Cour, « la demande en interprétation ne suspend pas l'exécution de l'Arrêt sauf si la Cour en décide autrement ».

la Côte d'Ivoire n'est pas le premier Etat africain à faire l'objet d'une injonction de la part de la CADHP. Mais ce pays est bien parti pour être le premier pays indiscipliné dans l'exécution des arrêts de cette Cour

En tout état de cause, la Côte d'Ivoire n'est pas le premier Etat africain à faire l'objet d'une injonction de la part de la CADHP. Mais ce pays est bien parti pour être le premier pays indiscipliné dans l'exécution des arrêts de cette Cour. Le premier arrêt de la CADHP a été rendu le 14 juin 2013 concernant une affaire opposant l'Etat de Tanzanie à un de ses ressortissants (le Révérend Christopher Mtikila). Pour être candidat à une élection présidentielle, législative ou municipale, une révision constitutionnelle introduisait dans la Constitution que pour être candidat à ces élections il fallait appartenir à un parti politique. La Cour a jugé qu'une telle obligation viole le droit de participer à la direction des affaires publiques de son pays, la liberté d'association et le droit à la non-discrimination. Elle a ordonné à la Tanzanie de « prendre toutes les mesures constitutionnelles, législatives et autres dispositions utiles dans un délai raisonnable, afin de mettre fin aux violations constatées et informer la Cour des mesures prises à cet égard ».

Faisant suite à cette injonction, la Tanzanie a organisé un référendum constitutionnel en octobre 2015.

Conclusion :  le Gouvernement accepte de discuter avec l'opposition

Que fera le Gouvernement Ouattara face à cette mobilisation contre la CEI ? Pour moi deux cas de figure se présente comme les scénarios les plus probables.

Premier cas de figure : le Gouvernement refuse de discuter avec l'opposition pour maintenir de force le bureau actuel de la CEI. Il y aura alors deux bras de fer : un bras de fer déséquilibré entre le pouvoir et une opposition affaiblie par les divisions ; un bras de fer équilibré entre les deux blocs rivaux de l'opposition (l'AFD conduite par M. Pascal Affi Nguessan et EDS conduite par M. Aboudramane Sangaré) qui vont se disputer le statut « d'opposition significative », susceptible de faire reculer.

Deuxième cas de figure : le Gouvernement accepte de discuter avec l'opposition. Et puisqu'il est face à deux invitations concomitantes à la négociation de la part des deux blocs rivaux de l'opposition, il choisira de négocier avec l'opposition qui fait son affaire. Ce qui est tout à fait légitime puisque c'est dans l'ordre normal des choses que de choisir celle qui nous arrange entre deux options qui s'offrent à nous. Aussi longtemps que nous offrirons deux oppositions à Alassane Ouattara, il choisira celle qui convient à ses intérêts du moment !!!

 

Arsène Touho

Secrétaire général adjoint UNG

Chargé des Organisations internationales et Sous-régionales, de la politique d'intégration national. En charge de l'Animation, de l'Implantation et du Suivi des Délégations du Parti dans la Province Ouest 3

Written by Arsène Touho

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