Ivoiresoir.net s'est procuré l'arrêt de la Chambre administrative de la Cour suprême. Celui-ci confirme l'implication direct d'une superviseure de la CEI et la CEI locale, dans les résultats biaisés proclamés en faveur d'un candidat. Ci-dessous cet arrêt.
La Cour, vu la requête, reçue le 18 octobre 2018 à la Commission électorale indépendante et enregistrée le 16 novembre 2018 au Secrétariat Général de la Cour Suprême sous le numéro 2018-125 CE (M), par laquelle monsieur Ezaley Georges Philippe, candidat, tête de la liste parrainée par le Parti Démocratique de Côte d'Ivoire dit PDCI-RDA pour l'élection des conseillers municipaux dans la circonscription électorale n° 36 de Grand-Bassam, ayant pour Conseil la SCPA ORE-DIALLO-LOA et Associés, Avocats près la Cour d'Appel d'Abidjan, y demeurant, Plateau, angle avenue Marchand-boulevard Clozel, immeuble Gyam, 7ème étage, porte D7, téléphone 20 21 65 24, la SCPA Blessy et Blessy, Maître SUY BI GOHORE Emile, tous Avocats près la Cour d'Appel d'Abidjan, a saisi la Chambre Administrative de la Cour Suprême aux fins de :
– contester la régularité de la proclamation des résultats du scrutin faite par la Commission Electorale Indépendante (CEI) le 15 octobre 2018 ;
– solliciter la reprise de l'opération de recensement des votes ;
– faire déclarer sa liste vainqueur du scrutin ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le mémoire en défense de monsieur Moulot Moïse Jean-Louis Coffi, tête de la liste parrainée par le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix dit RHDP déclarée vainqueur par la CEI, parvenu le 05 novembre 2018 à la CEI, par le canal de ses Conseils Maîtres Koné De Messe Zinsou, Coulibaly Soungalo et Touré Neyeboulman Sosthène et tendant au rejet de la requête ;
Vu les observations écrites du superviseur de la CEI dans la Région du Sud Comoé du 25 octobre 2018 tendant au rejet de la requête ;
Vu les observations écrites de six (06) commissaires centraux superviseurs de la CEI, parvenues le 19 novembre 2018 à la Chambre Administrative et affirmant que le résultat de l'élection des conseillers municipaux de Grand-Bassam, proclamé le 15 octobre 2018, par la CEI centrale, n'a pas respecté les procédures techniques et administratives validées par la Commission centrale de la CEI ;
Vu les réquisitions écrites du Procureur Général près la Cour Suprême, parvenues le 29 novembre 2018 au Secrétariat de la Chambre Administrative et tendant au rejet de la requête ;
Vu la notification faite aux parties, le 27 novembre 2018, pour l'audience du 30 novembre 2018 ;
Vu la Constitution ;
Vu la loi n° 2000-514 du 1er août 2000 portant code électoral, modifiée par les lois n° 2012-1130 du 12 décembre 2012, n° 2012-1193 du 27 décembre 2012, n° 2015-216 du 02 avril 2015 et n° 2016-840 du 18 octobre 2016 ;
Vu la loi n° 2001-634 du 09 octobre 2001 portant composition, organisation, attributions et fonctionnement de la Commission Electorale Indépendante (CEI), telle que modifiée par les lois n° 2004-642 du 14 décembre 2004, n° 2014-335 du 18 juin 2014 et n° 2014-664 du 03 novembre 2014 ;
Vu le décret n° 2018-713 du 12 septembre 2018 portant organisation et fonctionnement des Bureaux de vote en vue de l'élection des conseillers régionaux et des conseillers municipaux ;
Vu la loi n° 94-440 du 16 août 1994, déterminant la composition, l'organisation, les attributions et le fonctionnement de la Cour Suprême, modifiée et complétée par la loi n° 97-243 du 25 Avril 1997 ;
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Ouï le Rapporteur ;
Considérant qu'à l'issue du scrutin du 13 octobre 2018 pour l'élection des conseillers municipaux de la Commune de Grand-Bassam, la CEI a, le 15 octobre 2018, proclamé les résultats suivants :
– nombre d'inscrits : 42 051
– nombre de votants : 19 792
– bulletins nuls : 334
– bulletins blancs 74
– suffrages exprimés : 19 458
– liste conduite par monsieur Ezaley Georges Philippe, 8 843 voix, soit 45,45 % des suffrages exprimés ;
– De Paul, 1 039 voix, soit 5,34% des suffrages exprimés ;
– liste conduite par monsieur Kouadio Koffi Paul, 49 voix, soit 0,25 % des suffrages exprimés ;
– liste conduite par monsieur Moulot Moïse Jean-Louis Coffi, 9 453 voix, soit 48,58 % des suffrages exprimés ;
Considérant que monsieur Ezaley Georges Philippe, par la requête susvisée, conteste la régularité de la proclamation des résultats par la CEI centrale et sollicite la reprise des opérations de recensement des votes au motif qu'il a constaté des irrégularités relatives au recensement général des votes, à la proclamation des résultats et à l'organisation du scrutin ;
Considérant que monsieur Moulot Moïse Jean-Louis Coffi, tête de la liste parrainée par le RHDP déclarée vainqueur, réfute toutes les allégations du requérant et conclut au rejet du recours ;
Sur la recevabilité de la requête
Considérant que, si une contestation électorale doit avoir pour objet l'annulation de l'élection d'un candidat déclaré élu, il n'en demeure pas moins qu'il est de principe qu'une protestation, par laquelle un candidat demande à être proclamé élu, saisit le juge de l'ensemble des opérations électorales ; qu'ainsi, la requête de monsieur Ezaley Georges Philippe, qui a été introduite dans les conditions de forme et délai prescrits par la loi, est recevable ;
Sur le fond
Considérant que, pour solliciter la réformation des résultats, monsieur Ezaley Georges Philippe soutient que la sincérité du vote a été altérée par diverses irrégularités ayant affecté le recensement général des votes, la proclamation des résultats ainsi que l'organisation du scrutin ;
Sur le grief tiré des irrégularités ayant affecté le recensement général et la proclamation des résultats
Considérant que monsieur Ezaley Georges Philippe reproche à la Commission Electorale locale d'avoir transmis les procès-verbaux de dépouillement à la Commission Electorale Centrale à Abidjan sans avoir procédé au recensement général des résultats et à leur proclamation au siège de la Circonscription électorale en présence des représentants présents des candidats, comme le prescrit le code électoral ;
Considérant que, si en cas de violence et d'insécurité, la compilation et le recensement général des votes peuvent être délocalisés et que la CEI centrale peut se substituer à la CEI locale pour le recensement général et la proclamation des résultats d'une circonscription électorale, de telles opérations doivent nécessairement être entourées de garanties à même d'assurer l'authenticité des résultats ;
Considérant que, dans le cas d'espèce, monsieur Ezaley Georges Philippe ou ses représentants n'ayant pas été invités à assister au recensement général des votes, ils n'ont, ainsi, pas été mis en mesure d'exercer leur droit de contrôle sur la consolidation des résultats ; qu'au demeurant, monsieur Ezaley Georges Philippe, tout comme monsieur Moulot Moïse Jean Louis Coffi, conteste chacun l'authenticité de certains procès-verbaux voire l'existence de certains bureaux de votes, notamment ceux du groupe scolaire Edoukou Moïse Miezan ;
Considérant, par ailleurs, que six (06) commissaires centraux superviseurs de la CEI, dans des observations adressées le 19 novembre 2018 à la Chambre Administrative, affirment que « la CEI centrale ne dispose d'aucun procès-verbal physique de la circonscription électorale n° 36 de la Commune de Grand-Bassam et la Commission Centrale a, en sa session du 06 novembre 2018, rejeté le mémoire en défense proposé par le Superviseur en charge de la Région du Sud-Comoé… » ; qu'ils concluent que « le résultat de l'élection des conseillers municipaux de la Circonscription 036 de Grand-Bassam qui a été proclamé par la CEI n'a pas respecté les procédures techniques et administratives validées par la Commission Centrale de la CEI et consignées dans le mode opératoire arrêté à cet effet … » ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les résultats, annoncés dans ces circonstances, ne présentent pas un caractère de sincérité ;
« le scrutin a été émaillé de diverses irrégularités telles que la non remise des procès-verbaux de dépouillement de deux (02) bureaux de vote aux représentants du requérant, l'ouverture, selon monsieur Moulot Moïse Jean Louis Coffi, entre 12 h et 12 h30 au lieu de 8 h »
Sur le grief tiré des irrégularités ayant affecté l'organisation et le dépouillement des votes Considérant qu'il résulte du dossier, qu'outre le climat de violence et d'intimidation qui n'a pas permis que les opérations électorales se déroulent dans la sérénité nécessaire, le scrutin a été émaillé de diverses irrégularités telles que la non remise des procès-verbaux de dépouillement de deux (02) bureaux de vote aux représentants du requérant, l'ouverture, selon monsieur Moulot Moïse Jean Louis Coffi, entre 12 h et 12 h30 au lieu de 8 h, de la majorité des bureaux de vote, les erreurs de calcul sur les suffrages obtenus, les erreurs de remplissage des procès-verbaux, notamment, celui du bureau de vote n° 5 du groupe scolaire Léon Robert dans lequel il est mentionné « bureau de vote n° 5 EPP Edoukou Miezan », l'inexistence de procès-verbaux de dépouillement des votes sur le serveur de la CEI ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les irrégularités, commises lors du recensement général des votes, de la proclamation des résultats, de l'organisation et du dépouillement des votes, ont altéré la sincérité du scrutin et vicié les résultats proclamés le 15 octobre 2018 par la CEI Centrale ;
Qu'au regard de ce qui précède, la Cour ne dispose pas d'éléments suffisants pour proclamer avec certitude les résultats de l'élection des conseillers municipaux de Grand-Bassam ; qu'il y a lieu, dans ces circonstances, d'annuler ladite élection et d'ordonner, conformément à l'article 160 du code électoral, l'organisation de nouvelles élections dans un délai de trois (03) mois ;
Décide
Article 1er : la requête n° 2018-125 CE (M) du 16 novembre 2018 de monsieur Ezaley Georges Philippe est recevable et partiellement fondée ;
Article 2 : l'élection des Conseillers municipaux de la circonscription n° 036 de Grand-Bassam est annulée ;
Article 3 : il est ordonné l'organisation de nouvelles élections dans un délai de trois (03) mois ;
Article 4 : les frais sont mis à la charge du Trésor Public ;
Article 5 : une expédition du présent arrêt sera transmise au Procureur Général près la Cour Suprême, au Ministre de l'Intérieur et de la Sécurité et au Président de la Commission électorale indépendante dite CEI ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour Suprême, Chambre Administrative, en son audience publique du trente novembre deux mille dix huit ;
Où étaient présents MM. Kobo Pierre Claver, Président de la Chambre Administrative, Président ; Mme Fatoumata Diakité, Conseiller-Rapporteur, Boby Gbaza, Dedoh Dakouri, Yves N'Goran-Theckly, Zunon Seri Alain, Kobon Abe Hubert, Gaudji K. Joseph-Désiré, Zalo Léon Désiré, Mme Kouassi Angora Hortense épouse Sess, Pangny N'Guessan Jules, Mme Topka Kate Berthine épouse N'dri, Djama Edmond Pierre Jacques, Brou Kouakou N'Guessan Mathurin, Conseillers ; en présence de Messieurs Yua Koffi Joachim et Pale Bi Boka, Avocats Généraux ; avec l'assistance de Maître Affery M. Agnes, Secrétaire de Chambre ;
En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le Président, le Rapporteur et le Secrétaire de Chambre.