Le haut degré d’ingratitude de Ouattara envers Soro

Ouattara a décidé de retourner le couteau contre son fils Guillaume Soro qui a contribué, à le porter au pouvoir. Décryptage avec Francis Kouadiani.

C'est lui-même qui résume bien ce qui lui arrive depuis qu'il a rompu avec et annoncé sa candidature à la présidentielle d'octobre 2020. « C'est bien fait pour ma gueule ! », s'exclamait récemment l'ancien Président de l'Assemblée nationale ivoirienne dans un tweet. Une réaction empreinte de surprise et de déception de la part d'un homme qui a longtemps représenté pour lui un modèle ; un homme pour qui il s'est battu en prenant d'énormes risques, bref, un homme qu'il a servi. Mais en retour de ses sacrifices, c'est à une ingratitude du chef de l'Etat Alassane Ouattara et de son camp que l'ex-Premier ministre ivoirien fait face depuis la fin de la crise postélectorale de 2010. Mais contre mauvaise fortune, l'ex-leader de la fédération estudiantine et scolaire de Côte d'Ivoire (FESCI) a fait bon cœur jusqu'en fin 2018. N'en pouvant plus des coups tordus à lui faits ainsi qu'à ses proches, Guillaume Soro décide de parler pour attirer l'attention du président de la République sur les injustices dont il est l'objet.

Mais au lieu de se pencher sur les récriminations de celui qu'il dit considérer comme son fils, Alassane Ouattara n'a fait qu'exacerber la crise de confiance entre lui et celui qui occupait le Perchoir de l'Assemblée nationale. Jusque-là dauphin du président de la République au terme de la Constitution de 2000, l'ancien directeur du FMI décide de dépouiller le chef du Parlement de cette prérogative, à travers la nouvelle loi fondamentale qu'il fait écrire. Mais la goutte d'eau qui fera déborder le vase, c'est l'invitation adressée au président de l'Assemblée Nationale à adhérer à un parti qui a commencé à dévier de sa ligne originelle et ce, quand bien même Guillaume Soro a toujours prôné l'ouverture de cette famille politique.

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Cette demande devenait du coup incongrue aux yeux du député de Ferké-commune, surtout que cet appel à adhérer était assortie d'une menace de représailles. En citoyen digne, celui qui était surnommé Bogota quand il était à la tête de la FESCI, choisit de rendre le tablier. Pour le camp Ouattara qui le méprisait pourtant, c'était le crime de lèse-majesté. S'ouvre alors pour Guillaume Soro, l'ère des complots politiques pour l'éliminer aussi bien politiquement que physiquement. C'est dans ce registre que s'inscrit la cabale politico-judiciaire qui se joue depuis le 23 décembre 2019.

Candidat déclaré à la présidentielle d'octobre 2020, le Président de Générations et Peuples Solidaires (GPS) décide regagner la Côte d'Ivoire au mois de décembre. Il est contraint de décaler ce retour, le pouvoir d' évoquant de possibles troubles, alors qu'il reçoit un hôte de très grande marque en la personne du chef de l'Etat français, . Finalement, rendez-vous est pris pour le 23 décembre avec ses partisans, mobilisés en nombre pour l'accueillir. Finalement, après qu'il a été empêché de mettre le pied dans son pied, Guillaume Soro se voit décerner à son encontre un mandat d'arrêt international pour une présumée « tentative d'atteinte à l'autorité de l'État et à l'intégrité du territoire national ».

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Dans le même temps, plusieurs proches et des membres de la famille de l'ancien Premier Ministre sont arrêtés par le régime d'Alassane Ouattara qui les jette en prison. Mais au-delà de cette ingratitude, c'est le cou tordu à la démocratie pour laquelle il a consacré sa jeunesse en prenant la tête de la rébellion ivoirienne que dénonce Guillaume Soro. « Les symptômes d'une dérive autocratique s'accumulent : intimidations, arrestations arbitraires et tortures, bâillonnements de l'opposition et soumission de la justice au pouvoir exécutif. L'institution judiciaire indépendante n'existe plus. Elle est devenue le bras armé du pouvoir politique. Le syndicat des magistrats et le barreau eux-mêmes l'ont décrié dans leur déclaration les 16 et 29 janvier 2019, que vous pourriez consulter. 

Le Président sortant commande des procédures. Il instrumentalise des magistrats en violation des textes de loi et procédures au détriment des règles constitutionnelles. J'ai été, ainsi que mes amis politiques et certains membres de ma famille en Côte d'Ivoire, victime ces dernières semaines d'une véritable persécution judiciaire. Je répète : une d'une véritable persécution judiciaire. Cette persécution judiciaire a été possible parce qu'ont été violés gravement des principes qui sont le fondement de l'Etat de droit et de la démocratie », a fustigé face à la presse internationale, le 28 janvier à le Président de GPS dont les biens ont été saisis par le régime d'Alassane Ouattara sans autre forme de procès.

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Au lendemain de son interdiction d'atterrir à Abidjan, le désormais principal opposant au régime Ouattara n'était pas passé par quatre chemins pour dénoncer cette dérive. « Après avoir servi mon pays au mieux depuis toujours, après avoir exercé le pouvoir au plus haut niveau de l'Etat ivoirien (Premier ministre, président de l'Assemblée nationale), après que j'ai décidé de quitter la présidence de l'Assemblée nationale ivoirienne, voilà que le pouvoir en place prend la décision arbitraire et totalement infondée de m'interdire de rentrer dans mon propre pays. La seule raison ? Je suis candidat à l'élection présidentielle et désormais opposant au système Ouattara. Cette dérive autoritaire est digne des pires régimes dictatoriaux », avait condamné l'ancien leader estudiantin via tweeter.

« Je garde une foi intacte dans mon pays et dans le peuple ivoirien qui peut compter sur ma mobilisation totale à son service (…) La sérénité s'impose aujourd'hui et la seule bataille qui vaille est celle des urnes et celle de la démocratie. Elle va venir. Peuple ivoirien ! Nous surmonterons ce défi pour installer ensemble une démocratie vraie en Côte d'Ivoire. Je m'y engage avec force », a ajouté Guillaume Soro, contraint un an plus tôt de démissionner du poste de président de l'Assemblée nationale. « S'il avait voulu jouer au garçon en rentrant malgré cet empêchement, il aurait été sans doute été tué », témoigne l'un de ses partisans actuellement emprisonné.

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Avant cet épisode, alors qu'il séjournait en au dernier trimestre 2019, Guillaume Soro échappe de peu à un enlèvement par des hommes qui se sont présentés à lui comme appartenant à Interpol. Celui à qui le pouvoir ivoirien a longtemps hésité avant de lui délivrer un passeport ordinaire, ne doit son salut qu'à sa vigilance. La liste des ingratitudes du président Alassane Ouattara envers son « fils » Soro est loin d'être exhaustive. D'où le fait que ce dernier, dans cette grisaille, se permet malgré tout d'ironiser : « Qui aurait cru cela possible de l'homme providentiel venu du FMI ? C'est bien fait pour ma gueule ».

Written by Francis Kouadiani

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