Wakili Alafé à propos de Mali : « comment accepter que des militaires prennent la population en otage ? »

Wakili Alafé fait une analyse de la résistance des autorités de la transition au Mali contre la CEDEAO depuis le dimanche 9 janvier 2022.

L'heure est grave pour la démocratie en Afrique avec le recours, ces derniers mois, à des coups d'État militaires pour résoudre des contradictions politiques et sociales dans certains pays. Ce retour aux années sombres de l'Afrique est une menace pour les populations. Des activistes tentent de faire passer des putschistes militaires pour des libérateurs. Les habits neufs des coups d'État militaires au et en Guinée ne sont-ils pas en réalité des vieux habits des prises de pouvoir passées qui se terminent par des dictatures ?

Les autorités de la transition au Mali ont décidé d'entrer en résistance contre la CEDEAO et l'UEMOA et de soumettre le peuple déjà pris en otage à une autre épreuve , après avoir par leur attitude irresponsable conduit à des sanctions fortes en vue de les inciter à présenter un calendrier réaliste et acceptable de fin de transition militaire. Comment comprendre que des militaires, qui arrivent au pouvoir par un coup d'État , – double coup d'État au Mali -, puissent prétendre avoir répondu au besoin de changement, qui est réel, des peuples, tout en refusant un chronogramme sincère et honnête pour permettre « à ce peuple » d'exprimer sa volonté dans les urnes, loin de la contrainte des armes ? 

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Comment accepter que des militaires s'emparent du pouvoir et prennent la population en otage en imposant un calendrier inacceptable pour rendre le pouvoir aux civils ? La légitimité s'acquiert par les urnes et non par les armes.

La ruse de l'Histoire est que des putschistes au Mali et en Guinée se présentent comme des héros libérateurs, soutenus par des activistes qui voient dans la violence politique le moteur des changements et de la prétendue lutte contre le néocolonialisme.

Des arguments utilisés pour soutenir le gouvernement de Bamako et pour s'opposer aux décisions de la Cedeao. 

Depuis hier, j'entends des amis maliens, guinéens, ivoiriens et d'autres pays dire que les Chefs d'État de la Cedeao sont eux-mêmes des usurpateurs qui n'ont aucune légitimité. Selon mes interlocuteurs, parce que ces chefs d'État seraient des supplétifs des anciennes puissances occidentales, ils ne sont pas fondés à sanctionner la transition au Mali. Les mêmes activistes accusent la France de jouer la partition du désordre au Mali pour y rester. Selon eux, en dehors de la durée de 5 ans de la transition au Mali, la véritable raison des sanctions est liée à la présence supposée ou redoutée du Groupe Wagner, une milice privée qui permet aux Russes d'avancer leurs pions en Afrique sans apparaître ! Voilà l'essentiel des arguments utilisés pour soutenir le gouvernement de Bamako et pour s'opposer aux décisions de la Cedeao. Sans oublier ceux qui demandent la base légale et légitime des sanctions. En fait ces sanctions s'assimilent aux sanctions onusiennes de ce genre. Et elles restent permises par les textes des organisations internationales, en ce que ces textes autorisent ces organisations à se donner les moyens nécessaires, pour atteindre les objectifs assignés dans leurs statuts.

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Personne ne veut voir l'illégitimité absolue des putschistes de Bamako en train d'être glorifiés comme des héros, alors qu'ils ressemblent à ces faux héros du passé comme Haya Sanogo et Dadis Camara.

En réalité, les chefs d'État de la Cedeao souhaitent le retour de l'ordre constitutionnel et de l'État de droit, le seul chemin qui permettra au Mali , et aux pays africains de trouver leur place dans le nouvel ordre mondial.

Les intellectuels africains doivent s'engager. 

Les militaires au pouvoir à Bamako et à Conakry doivent créer rapidement les conditions pour que les peuples malien et guinéen  décident  de leur sort par le moyen des urnes et pour qu'ils ne subissent plus la violence des armes.

Les intellectuels africains doivent s'engager comme je le fais pour défendre la démocratie.

Il ne s'agit pas de voler au secours de Chefs d'État qui seraient « mal » élus, et qui sont maintenus au pouvoir par les anciennes puissances coloniales. Et pour cette raison préférer des putschistes et les élever au rang de héros !

L'engagement des intellectuels africains doit viser à dénoncer la prise de pouvoir par des militaires que des activistes présentent comme des libérateurs. Étrange renversement des valeurs. 

Concernant spécifiquement le Mali, je n'oublie pas qu'il y'a quelques mois, dans la foulée du second coup d'État d'Assimi Goita , des observateurs s'étaient moqués de la même Cedeao qui avait – contre son gré – pris acte du coup d' État militaire, donnant le bénéfice du doute, et une présomption de bonne foi à la junte au pouvoir ! À l'époque, la Cedeao avait échoué à faire libérer immédiatement et à rétablir dans leurs fonctions l'ex Président de la transition et l'ex Premier ministre arrêtés, au détriment des radicaux de l'époque.

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Faisant preuve d'un réalisme qui n'avait pas été compris par des observateurs, acceptant, « naïvement », de croire à la bonne foi d'un régime militaire, d'un régime de putsch, la Cedeao avait fait bon cœur contre mauvaise fortune ! Ce n'était pas de la faiblesse, comme le montrent les sanctions prises contre le Mali par la Cedeao  le 9 janvier 2022, après avoir observé depuis 18 mois, la junte au pouvoir à Bamako, sans être tenté de faire usage de la force.

L'armée Burkinabè pouvait être tentée de prendre le pouvoir ! Pourtant elle est restée républicaine 

La solution au problème de gouvernance, aux crises politiques, ou économiques en Afrique ne peut résider dans ce type d'accession au pouvoir. Il y'a lieu de créer les conditions pour empêcher durablement le recours à la force militaire et l'intrusion des forces militaires dans le jeu démocratique. L'on a assisté il y'a peu à une tentation de changement non constitutionnel de régime au Burkina Faso avec un Roch Marc Kaboré vacillant ! Oui

l'armée Burkinabè pouvait être tentée de prendre le pouvoir ! Pourtant elle est restée républicaine, et elle a résisté face à des populations et à certains manifestants qui, chantant le nom d'un ex dirigeant, croyaient que l'heure d'un autre changement hors des urnes était arrivé. 

Certains estiment que c'est la tentation de conserver le pouvoir hors des délais pour lesquels on est élu et les dérives subséquentes qui donnent des idées aux militaires. Selon eux, nous fragilisons nos propres pays en faisant une autre lecture de la démocratie. Ils estiment que le jour où les Africains comprendront que la démocratie est simple, on rangera à jamais les militaires dans les casernes. Beau discours pour fuir la dénonciation des coups d'État.

…l'on ne peut que désespérer du continent ! 

Quand des adeptes présumés de la démocratie pensent que seule leur lecture de la constitution est la meilleure, quand parce leur lecture n'a pas été validée par les institutions, ils applaudissent, justifient et soutiennent un coup d'État, l'on ne peut que désespérer du continent ! Aucune justification n'est valable face aux raccourcis de la violence et de la force armée ! Aucune !

En réalité et de toutes les façons, les coups d'État ne changent justement rien. Au Mali, l'ex parti au pouvoir et ses dirigeants sont traqués et menacés de poursuites pour de prétendues opérations mains propres, comme en Guinée. En réalité la justice militaire, ou des militaires issus de Coup d'Etat, n'est pas plus « juste » que la justice civile ! Ce sont les mêmes magistrats, les mêmes fonctionnaires, autrefois aux ordres des régimes civils déchus qui se mettent aux ordres des régimes militaires ! Avec la même corruption et la même volonté partagée de la part des populations, de piller les ressources du pays qu'un régime civil qui est chassé !

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Tomber de Charybde en Scylla !

La question n'est pas simplement malienne ou guinéenne, elle est africaine 

Triste sort pour nos pays avec des populations qui prennent rendez-vous avec le pire de façon délibérée. Dieu sauve le Mali et la Guinée, car à travers le Mali, c'est l'avenir de la question de la transition de la Guinée qu'il faut déjà avoir à l'esprit ! La question n'est pas simplement malienne ou guinéenne, elle est africaine, et c'est de l'avenir de l'Afrique qu'il est question, lorsque certains acceptent de faire passer des militaires putschistes pour des héros libérateurs. 

En Afrique, les coups d'État militaires montrent que tous les pays africains ne sont pas encore prêts à devenir totalement démocratiques.

Bien sûr,  il serait trop simple de n'accuser que des militaires. Alors question : les gouvernements civils sont-ils exempts de tout reproche ? Nullement ! La croissance est-elle suffisamment inclusive et le partage des richesses plus juste, lorsque ce sont les civils qui gouvernent ? Pas tout à fait !

Bien sûr des populations vivent dans la précarité et n'ont pas accès aux services de base, bien sûr que  des jeunes ne trouvent pas de travail, alors que ceux qui sont au pouvoir, civils ou militaires, s'accaparent les richesses.

Mais le coup d'État militaire n'est jamais la solution, car en réalité Assimi Goita et Mamadou  Doumbouya sont des  acteurs d'une forme violente de confiscation du pouvoir par des gens qui prétendent (sans aucune validation libre et démocratique en dehors de la prise illégale, inconstitutionnelle et inaccoutumée du pouvoir) répondre aux aspirations du peuple. Oui au Mali, oui à la Guinée, solidarité aux peuples libres et souverains de ces pays  frères, mais non, non, non aux coups d'État et aux agissements de leurs dirigeants. Les manifestations suscitées de soutien aux autorités en place, sans possibilité de manifestation libre d'opposants, ne sauraient s'imposer comme des instruments et des instances de validation et de légitimation, en dehors des élections et des urnes.

Ces mal élus restent toujours perfectibles et préférables à servir en modèle à nos enfants et aux jeunes ] 

Au lieu de susciter des sorties des populations dans les rues à Bamako , à Conakry, grâce à un pouvoir acquis par la force et par les armes, pourquoi ne pas appeler les citoyens aux urnes ? Non, les putschistes préfèrent le désordre de la manipulation et de la propagande dans la rue, à la mise en place d'instruments plus crédibles de légitimation. Avec la rue après les armes, il est plus facile de prétendre parler au nom du peuple ! C'est cela que nous refusons !

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À ceux qui posent la question du terrorisme comme une bonne raison de s'accommoder de ce qui se passe au Mali, il est bon de rappeler qu'il reste difficile de gagner le combat contre le terrorisme par des moyens non démocratiques, et des méthodes terroristes ! On n'a pas besoin d'utiliser les méthodes des terroristes pour avoir raison d'eux, tout en leur donnant raison d'être des gens sans foi ni loi. L'Afrique doit avoir d'autres alternatives que de transformer en héros des putschistes, autrement le rêve de tous les jeunes du continent (en dehors d'aller en mer), va aussi consister à entrer dans l'armée pour devenir des Doumbouya et des Goïta , au lieu de chercher à devenir des Alpha Konaré,

des Buhari, des Ouattara, des Bédié, des Gbagbo, des Tschisekedi, des Weah, des Alpha Condé, des Macky Sall, des Kaboré, et même des Ibk. 

Bien sûr ces ne sont pas parfaits , et ils commettent des erreurs, ils en ont commis , mais ils restent préférables de loin, pour moi et pour l'histoire , à des militaires putschistes. ]

Written by Alafé Wakili

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