À 4 mois de la présidentielle Ivoirienne d'octobre 2020, à « Ferké », on croit encore au destin présidentiel de Guillaume Soro de l'enfant du pays.
« Je ne fais pas de politique, mais on n'abandonne pas son enfant », assure Kiali Ouattara, chef traditionnel de Ferkessédougou. La grande ville du Nord est le fief de l'ex-rebelle Guillaume Soro, qui reste candidat à la présidentielle d'octobre malgré un exil en France et des ennuis judiciaires.
Longtemps allié du président Alassane Ouattara, qu'il a aidé, en tant que leader de l'ex-rébellion du Nord, à accéder au pouvoir pendant la crise post-électorale de 2010-2011, il est devenu Premier ministre, puis président de l'Assemblée nationale, avant de rompre début 2019 avec le chef de l'Etat et son parti, le RHDP (Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix). Depuis, son avenir s'est assombri.
Condamné fin avril par la justice ivoirienne à 20 ans de prison et à la déchéance de ses droits civiques notamment pour « recel de détournement de deniers publics », M. Soro, qui fait aussi face à des accusations de « tentative d'insurrection », avait renoncé à rentrer au pays en décembre dernier pour éviter une incarcération. Nombre de ses partisans sont en prison.
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Il est également visé par une plainte déposée à Paris pour « torture », « assassinat » et « crimes de guerre » en 2004 et 2011.
– « Jugements farfelus » –
Pas de quoi décourager ses supporters à « Ferké », dont il est toujours député. Ici, on croit encore au destin présidentiel de l'enfant du pays, né dans le village voisin de Diawala.
« Le RHDP met ses partisans en prison, le condamne avec des jugements farfelus », comme les ex-présidents Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo l'ont fait à Alassane Ouattara dans le passé, assure Ouattara Laragton, 55 ans, coiffeur au quartier Lanviara. « Je sais que si le petit se présente, il va gagner ». « Le petit », c'est évidemment Guillaume Soro, 48 ans.
Carrefour commercial sur les routes menant au Mali et au Burkina, Ferké (160.000 habitants) a supplanté la ville historique voisine de Kong (capitale de l'empire Kong à l'époque de Samory Touré) au XXe siècle grâce au passage du chemin de fer. Kong étant le fief de la famille Ouattara, certains veulent y voir le symbole que Guillaume Soro, le « moderne » supplantera Alassane Ouattara, « l'ancien ». Détail amusant: la capitale du Nord située à une cinquantaine de kilomètres à l'ouest, est la ville du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, le candidat du RHDP choisi par le chef de l'Etat pour lui succéder.
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M. Soro a longtemps espéré que M. Ouattara le désignerait comme son successeur, avant de claquer la porte.
Pour Sougari Soro, 45 ans, mécanicien à Ferkessédougou, les « gens du RHDP » sont « des ingrats »: « Ils l'ont trahi devant nos yeux alors qu'il a vendu sa vie pour les mettre au pouvoir », quand il était chef des ex-rebelles. « Nous sommes beaucoup en Côte d'Ivoire à le soutenir dans le silence ».
Le RHDP est toutefois loin d'avoir perdu la main ici. Dès son arrivée au pouvoir en 2011, Alassane Ouattara a fait investir dans le nord du pays, longtemps délaissé. Ferké, comme Korhogo, ont largement bénéficié de cette volonté de rattraper le retard du Nord (écoles, électrification, axes routiers).
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« Il est trop pressé de prendre le pouvoir. Il doit continuer à se faire former, à apprendre à côté de son père Alassane Ouattara », tranche Ismael Ouattara, vendeur d'appareils électro-ménagers.
– Maison et chambres –
Tilkouete Sansan Dah, député de Bouna, à l'est de Ferké, à la frontière avec le Ghana et le Burkina, estime même que Guillaume Soro ne « peut affirmer que c'est son fief »: « M. Soro ne pourrait pas être élu député à Ferké aujourd'hui ».
La machine électorale du RHDP s'est d'ailleurs mise en marche, attirant de nombreux militants de l'ex-Premier ministre.
« Le RHDP était comme une maison avec des chambres. Il y avait la chambre pro-Soro, les pro-Gon Coulibaly, les pro-Hamed Bakayoko (ministre de la Défense) », parmi d'autres, explique M. Sansan Dah. « Les militants n'ont pas changé de maison. C'est Soro qui a quitté la maison ».
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« Certains de nos frères sont tentés. On leur offre du travail, des positions. On exerce des pressions… Mais, dans les urnes on est les plus forts », réplique un proche de Guillaume Soro.
Le maire de Ferké, Kiweli Ouattara, est un des irréductibles pro-Soro. « S'il n'en reste qu'un ce sera moi mais, je vous assure », promet-il, un brin exalté, « Guillaume Soro reviendra, il fera campagne et il sera élu président de la Côte d'Ivoire le 31 octobre au soir ».