Jean Bonin Kouadio explore les limites de la définition du chômage selon le BIT en Côte d'Ivoire, mettant en évidence le rôle prépondérant du secteur informel et les défis liés à la mesure du chômage dans les pays en développement.
Une polémique sur le niveau du chômage en Côte d'Ivoire fait la une de certains médias et enflamme les débats sur la toile. Qui a raison qui a tort… ?
Il est important pour trancher un tel débat de préalablement s'entendre sur la compréhension que les uns et les autres ont de la notion de chômage. C'est un préalable nécessaire pour rendre le débat intelligible.
Ainsi, déjà en 2018, selon la Banque Mondiale, le taux de chômage en Côte d'Ivoire était de 2,6%. La Banque s'appuyait sur la définition du taux de chômage au sens du Bureau International du Travail – BIT.
Selon la Banque, les statistiques sur le taux du chômage en CIV sont ceux-ci :
– Population active : 8 234 429 (la population en âge de travailler est généralement définie comme l'ensemble des personnes ayant entre 15 et 64 ans).
– Taux de chômage (au sens BIT): 2,6%
– Emplois Informels : 73%
– Total population active précaire : 75,6%
Est considérée comme population inactive, l'ensemble des personnes en âge de travailler n'exerçant pas et ne recherchant pas d'emploi. C'est le cas notamment des personnes au foyer, étudiants, personnes en incapacité de travailler, bénévoles et rentiers.
Ce qui est important de comprendre, c'est que pour le BIT, le chômeur est :
– une personne en âge de travailler,
– à la recherche effective d'emploi, et,
– disponible pour travailler.
C'est trois (3) conditions sont cumulatives. En d'autres termes, si un individu ne travaille pas et qu'il n'est pas identifié comme disponible et activement à la recherche d'emploi, il ne sera pas pris en compte dans les statistiques sur le chômage.
Du point de vue du BIT, le taux de chômage annoncé par le ministre Touré Mamadou est conforme à la doctrine de cette organisation sur le travail.
Pour autant, force est de reconnaître que cette définition du BIT, quoique universellement admise, est, lorsqu'il s'agit de la plupart des pays africains, très peu significative. Elle apparaît même comme essentiellement livresque, tant elle ne cadre pas avec les réalités sociaux économiques de nos pays en développement.
En effet, pour être répertorié comme activement à la recherche d'un emploi, il faut qu'il existe un organisme spécialisé et outillé pour cette mission. Or, le fait est que très peu d'organisme de ce type existe dans toutes nos localités, avec la compétence nécessaire.
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Aujourd'hui, le secteur informel occupe quasiment 90% de la population active, sans protection sociale, ni rémunération suffisance. Notre économie est largement fondée sur l'informel. Cela rend difficile, voire impossible, d'établir des statistiques crédibles et fiables.
Il y a des individus qui exercent dans l'informel (taxis, maquis, vendeurs de Garba, d'eau glacée, de beignets, ou de friperies…) qui s'en sortent beaucoup mieux financièrement que d'autres qui sont dans le secteur dit formel et dont le salaire minimum est censé être de 75.000FCFA brut mensuel.
Bien qu'ayant des revenus mensuels supérieurs à des travailleurs du secteur formel (ceux qui cotisent et sont déclarés à la CNPS, payés au minimum au SMIG…), ces gens sont considérés dans nos économies comme des chômeurs. Tout un paradoxe.
Idealement, il faudrait créer une définition du chômage propre à nos États en développement pour y refléter la réalité de l'emploi. Après cela, il serait possible de donner des chiffres cohérents et crédibles sur le taux de chômage dans ces pays.
Mais, en attendant que cette définition qui doit tenir nécessairement compte de la place importante qu'occupe le secteur informel dans nos États soient créée, on ne peut pas, d'un point de vue scientifique et statistique dire que le ministre Touré Mamadou est dans le faux. Vu qu'il utilise une définition internationale admise par quasiment tous les pays.
Par exemple, un planteur qui cultive sa plantation de cacao et qui y tire l'essentiel de ses revenus est considéré commune un chômeur. Or, son activité agricole est un travail pourvoyeur de revenus. Sauf qu'il est dans l'informel et n'est certainement pas inscrit à l'Agence Emplois Jeunes.
Le Gnambro ou l'apprenti Gbaka, le coxer… qui se lèvent chaque matin pour aller « travailler » sont eux aussi considérés comme des chômeurs alors même qu'ils ont une activité rémunérée.
D'ailleurs, pour être factuels, combien de pseudos chômeurs sont vraiment inscrits dans une agence Emplois Jeunes ? Difficile à savoir. Ils n'y sont pas majoritairement inscrits et croient qu'ils seront pris en compte dans le nombre des chômeurs. C'est une erreur.
Il nous appartient, nous africains, de nous réinventer plutôt que de rester dans les polémiques stériles et annihilantes qui ne nous font pas vraiment avancer sur la question de la définition du chômage.
Cet effort intellectuel est est nécessaire car si l'on s'en tient aux statistiques officielles de l'Organisation internationale du travail (OIT), en 2023, les chômeurs en Côte d'Ivoire ne représentent que 2,5% de la *population active*, et la proportion tombe même à 0,3% au Niger , 1% au Rwanda ou encore 2,1 % au Bénin . La réalité est pourtant toute autre.
Jean Bonin KOUADIO
Juriste
Président de FIER
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