Danièle Boni-Claverie à propos des violences contre Nigériens à Abidjan : « notre société est vraiment malade »

Danièle Boni-Claverie revient sur les événements malheureuse du 19 mai 2021 à Abidjan contre des ressortissants nigériens.

Où nous amène – t-on ? Comme le dit le chanteur Ticken Jah, « le pays va mal, très mal… ». Ce qui nous a été donné de voir le 19 mai dernier lors des affrontements à et dans d'autres communes d'Abidjan est une honte pour notre pays. La chasse à l'étranger, aujourd'hui aux Nigériens, demain à d'autres –on compte chez nous 27 nationalités en tout – victimes de la colère des adultes et de la furia dévastatrice des jeunes, une furia scandaleuse, inadmissible qui nous interpelle.

Une vidéo tournée à Château Angré nous montre une dizaine de « microbes » investir une rue et tuer avec une rare banalité un monsieur qui marchait tranquillement. Les voisins terrorisés et repliés chez eux ont eu le temps de filmer l'agonie de cet homme qui a rendu l'âme sans que quelqu'un ait eu l'idée d'appeler les secours d'une ambulance ou de la police.

Notre société est vraiment malade, vidée de ses valeurs, laissant toute une jeunesse à la dérive, livrée à elle-même face à des adultes tétanisés par peur d'éventuelles représailles. Comment comprendre que ce phénomène qui gangrène toutes les communes d'Abidjan ne soit pas pris à bras le corps par le gouvernement et que ces images révoltantes n'aient pas suscité l'ire du Procureur général Richard Adou.

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Utilisés pendant la crise postélectorale de 2011 comme enfants soldats, enfants condamnés à tout faire par les combattants, ils ont vécu les affres et l'immoralité de la guerre. Eux n'ont pas bénéficié du programme DDR (Désarmement, Démobilisation, Réinsertion), réservé aux adultes. Déscolarisés, abonnés à la drogue, abandonnés à eux-mêmes, ce sont des proies faciles, instrumentalisés sans vergogne.

Leur environnement ? Aux risques politiques s'ajoutent la pauvreté qui ne fait que s'accentuer avec l'augmentation des prix des denrées alimentaires, le manque d'eau et de courant, l'absence de soins médicaux, des baraques exposées par les pluies aux inondations, aux glissements de terrains, à l'effondrement des maisons ainsi que des parents et une famille inexistants. Ce ne sont pas les plans nationaux successifs de protection de l'enfance qui mettront un terme à leur situation précaire.

La sanction est indispensable mais ces jeunes doivent aussi bénéficier en priorité de l'attention des gouvernants et d'une intégration sociale prioritaire. Ils méritent autant d'attention que les enfants exploités dans les plantations de cacao.

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Les évènements du 19 mai nous interpellent également sur nos relations avec nos frères de la Cedeao qui vivent en Côte d'Ivoire. Sujet, parait-il, délicat qu'il serait malséant d'évoquer. Et pourtant l'exaspération des Ivoiriens ne cesse de grandir face à une paupérisation grandissante accentuée par le délestage, les coupures d'eau et la cherté de la vie. On ne peut pas accepter sans broncher que des tueries et des pillages soient perpétrés contre des étrangers sans chercher à en analyser les raisons. Les Ivoiriens ne sont pas xénophobes, ils le démontrent depuis des décennies.

Dans quel pays africain, l'étranger a-t-il accès aux soins de santé, à l'éducation, à la terre, aux emplois publics et à participer à toutes les élections au même titre que les Ivoiriens. Cette longue tradition d'hospitalité s'est reconfigurée sous la pression politique et économique mais n'a jamais débouché sur une véritable politique d'immigration.

Ces évènements regrettables ne sont pas à mon sens, la conséquence « d'une forte dérive identitaire » comme certains se plaisent à le souligner. Autant, lorsque le climat économique est euphorique, il n'y a aucun problème, autant en période de récession, la tendance est de tourner un regard accusateur vers l'autre c.à.d. vers l'étranger. Aussi, pour éviter que nos frères de la Cedeao ne soient perçus comme des dangers, il nous semble à l'Urd impérieux d'organiser les flux migratoires, alimentés en son temps par les besoins en main d'œuvre pour le développement d'une économie de plantation.

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Il revient aussi au pays récepteur de savoir gérer ses migrants et éviter qu'ils n'effectuent un repli sur eux-mêmes, préjudiciable à des relations harmonieuses avec les autochtones. Il est également indispensable que l'Etat mette un terme à la fraude sur la nationalité ivoirienne qui s'acquiert trop facilement par des voies détournées et dévalorise ainsi un acte symbolique fort qui ne peut être réduit à une simple formalité administrative et encore moins être le résultat d'un acte délictueux.

La Côte d'Ivoire est riche de sa diversité, consciente qu'elle ne peut se soustraire à sa vocation d'accueil, ne serait-ce que dans une optique de stabilité sous régionale mais cette mission ne peut s'accomplir au détriment de ses propres ressortissants.

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