Gbagbo au commandant Vetcho le 11 avril 2011: « ne tuez pas mes enfants »

Récit de la capture le 11 avril 2011 de l'ancien président ivoirien Laurent Gbagbo qui s'est montré pugnace jusqu'au bout.

Premières images après sa capture. a l'air hébété. Il ne semble pas comprendre ce qui lui arrive. Et pour cause. Jusqu'au dernier moment, il a cru qu'il pourrait renverser la partie.

Laurent Gbagbo a beau avoir avalé un somnifère, il n'a pas dormi de la nuit. Il a l'œil hagard. Il est épuisé, un peu perdu, comme dans un état second. Les commandants Hervé Pélikan Touré, alias « Vetcho », et Morou Ouattara l'entourent. « Ne tuez pas mes enfants », glisse-t-il à l'oreille du premier qui lui enfile un gilet pare-balles. Un rebelle enlève son casque pour le lui mettre sur la tête.

Jeudi 7 avril, Alassane Ouattara décrète le blocus de sa résidence. Vendredi 8 avril, sa réplique est foudroyante : sept obus et trois roquettes s'abattent sur la résidence de l'ambassadeur de France, qui jouxte la sienne. Pas de blessés.

Samedi 9 avril, Laurent Gbagbo va plus loin. Il ordonne l'attaque du Golf Hôtel, le QG de son adversaire. Une heure de bombardements au mortier, à partir de sa propre résidence ! Une heure de panique dans le camp Ouattara. Au total, plus de peur que de mal. Mais la preuve est faite que les frappes de l'Onuci et de la force française Licorne, le 4 avril, n'ont pas suffi. Le camp Gbagbo a mis des armes lourdes à l'abri. Il reste fort.

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Mieux, il réussit à renforcer son dispositif de défense. À Cocody, les pilotes d'hélicoptère de l'Onuci en reconnaissance constatent avec effarement qu'une soixantaine de blindés et de pick-up sont venus des camps militaires d'Agban et d'Akouédo pour protéger la résidence. Désormais, il y a là trois fois plus de moyens qu'avant les frappes du 4 avril ! À la manœuvre, le général Dogbo Blé, le chef des Bérets rouges de la garde républicaine. En octobre 2000, c'est lui qui avait retourné une partie de l'armée contre le général Gueï.

Même région natale, mêmes combats… Dogbo Blé et Gbagbo sont main dans la main. Le militaire est à la présidence, au Plateau. Le politique à la résidence, à Cocody. Ils sont en liaison permanente. Un modèle : Idriss Déby Itno. En février 2008, le président tchadien avait retourné in extremis la situation, à 500 m de son palais. Ce samedi 9 avril, ils y croient encore…

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Le même soir, branle-bas de combat dans le camp Ouattara. L'attaque du Golf Hôtel en a sonné plus d'un. Le camp Gbagbo relève la tête. Il faut la couper tout de suite, sans quoi… Alassane Ouattara est au Golf et Guillaume Soro au « corridor de Gesco », à l'entrée nord d'Abidjan. Il campe avec ses hommes à la belle étoile ou, au mieux, dans une auberge villageoise. Soro presse Ouattara de demander à l'ONU et à la France une deuxième série de frappes sur les armes lourdes de Gbagbo. Alassane Ouattara contacte Paris et New York. A priori, pas de problème. Comme le lundi 4, l'opération peut être couverte par la résolution 1975 du Conseil de sécurité de l'ONU.

« La décision a été difficile à prendre, confie un diplomate français. Cette fois-ci, on avait une obligation de résultat. » Sous-entendu : si les frappes ne réussissaient pas, le camp Gbagbo pouvait gagner la bataille. Nicolas Sarkozy hésite. Mais un argument le convainc. C'est le précédent Kadhafi. Il y a deux mois, tout le monde le croyait fini. Il tient toujours. Pas question de laisser s'enliser le conflit ivoirien, avec le risque de voir surgir des règlements de comptes ethniques.

Le dimanche 10 avril en début d'après-midi, le compte à rebours est lancé. Les premières frappes auront lieu à 16 h 45. Toute la nuit précédente, les hélicoptères de Licorne ont tourné au-dessus de Cocody pour identifier une à une les armes lourdes du camp Gbagbo. Le QG de l'Onuci, au nord du Plateau, est visé par des tirs. Dans son bunker, Choi Young-jin, son patron, bout d'impatience. « Les jours précédents, il était prudent. Mais, ce dimanche, il a bouffé du lion », raconte un témoin. À l'heure dite, les deux MI-24 de l'Onuci, pilotés par des Ukrainiens, entrent en action. Normal. Ils ne peuvent voler que de jour. Ils attaquent les canons et les blindés qui protègent le palais présidentiel, au Plateau. À la nuit tombée, les quatre Gazelle de Licorne, appuyées par un Puma, prennent le relais. Objectif : le quartier de la résidence, à Cocody. Frappes précises et continues. À 22 heures, un orage éclate dans le ciel d'Abidjan. Le bombardement cesse pendant une heure. Puis il reprend, méthodique, jusqu'à 4 heures du matin. À cet instant, l'état-major français croit que le terrain est « nettoyé », et le fait savoir à Guillaume Soro.

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Mais la détermination du camp Gbagbo est plus forte que ne l'imaginent les Français. Ce dimanche soir, en plein bombardement, le général Dogbo Blé a fait venir à la présidence six cents jeunes miliciens – certains ont à peine 15 ans – qu'il a recrutés dans le quartier Blockoss. Laurent Gbagbo ne lâche rien. Et malgré la pluie de roquettes françaises qui s'est abattue sur Cocody, il garde encore du « lourd » dans l'enceinte de sa résidence, avec l'appui de deux cents hommes. À 8 heures, ce lundi 11 avril, Guillaume Soro lance ses Forces républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI) à l'assaut de ce dernier carré, mais cinq pick-up sur sept sont détruits par un canon de 20 mm servi par de bons artilleurs. Les FRCI se replient. Rien n'est encore joué.

« Il faut en finir », lâche l'état-major à Paris. « Il y a un moment où, mandat ou pas, il faut que les choses s'arrêtent », lance un proche de Nicolas Sarkozy. Les hélicoptères de Licorne décollent à nouveau. Cette fois, ils ne ciblent plus seulement les blindés autour de la résidence. Ils frappent à l'intérieur de l'enceinte, et tirent sur les canons bitubes placés dans les ouvertures du bâtiment lui-même. « C'était une véritable poudrière, raconte son plus proche voisin, Jean-Marc Simon, l'ambassadeur de France. Le mur qui sépare la résidence de Gbagbo de la mienne s'est effondré sur quinze mètres. Sans doute à cause de l'effet de souffle d'une explosion. »

« Ne me tuez pas »

En fin de matinée, les derniers soldats pro-Gbagbo se débandent. Les FRCI s'avancent à nouveau vers la résidence. Plusieurs « comzones » (commandants de zone) sont là : les commandants , Vetcho, Morou Ouattara et Wattao. Deux cents à trois cents hommes sont avec eux. Ils entrent prudemment dans le jardin de la résidence. À 12 h 45, Laurent Gbagbo décide de se rendre. Son secrétaire général, Désiré Tagro, téléphone à l'ambassadeur de France.

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« Prenez un drapeau blanc et sortez du bâtiment », lui conseille Jean-Marc Simon. « Quand il m'a parlé, il y avait un énorme brouhaha autour de lui, comme si des gens se disputaient », témoigne-t-il. Dix minutes plus tard, Tagro rappelle Simon : « Je suis sorti, mais on m'a tiré dessus. – Restez en ligne, j'appelle Soro. » Aussitôt, Simon contacte Soro, qui donne dix minutes à Gbagbo et à ses fidèles pour sortir du bâtiment. Dans le même temps, Soro ordonne à Zakaria Koné – qui était en « liaison portable ouvert » avec lui – de faire cesser les tirs pendant dix minutes… LIRE LA SUITE

Written by Christian Binaté

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