« Pourquoi le grand amour qu’il y avait entre la France et le Mali s’est transformé en haine »

La France vient de mettre officiellement fin à l'opération Barkhane au Mali. Paris avait annoncé il y a quelques mois la fin de cette opération.

Elle avait débuté en 2013, par l'intervention des forces françaises au moment où les djihadistes fonçaient sur Bamako et que la situation semblait désespérée pour le gouvernement malien d'alors. Les forces françaises furent accueillies comme des héros, et lorsque le président français François Hollande se rendit plus tard au , il y fut reçu avec une telle ferveur que sous le coup de l'émotion, il déclara que c'était le plus beau jour de sa carrière politique.

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Hier, le président français a mis fin à l'opération et la se retire du Mali, sur fond de désaccord profond avec ce pays et de grande méfiance, pour ne pas dire plus, envers elle dans tout ce que l'on appelait son « pré carré », à savoir l'Afrique francophone. La France avait annoncé il y a quelques mois la fin de cette opération, et dans la foulée le gouvernement malien avait demandé à la France de retirer tous ses soldats et son ambassadeur. Que s'est-il passé entre temps ? Pourquoi le grand amour qu'il y avait entre la France et le Mali s'est transformé en haine, au point que les deux pays s'envoient des noms d'oiseaux à la tribune des Nations Unies ? Et pourquoi ce désamour envers la France dans une partie de la population dans toute l'Afrique francophone ? On l'a vu au Burkina Faso, lors du dernier coup d'Etat. Il a suffi que l'on fasse courir le bruit que la France soutient le pouvoir en place pour qu'une partie de la jeunesse prenne partie pour son tombeur et s'en prenne aux symboles de l'Etat français, à savoir son ambassade et ses centres culturels.

Je crois qu'à l'égard du Mali, il y eut conjonction de deux évènements. D'un côté, l'arrogance de la France, et de l'autre, l'activisme de la Russie et de ses réseaux. L'arrogance de la France s'est manifestée en deux occasions : d'une part, en interdisant à l'armée malienne d'aller à Kidal et en condamnant sans prendre de gants le coup d'Etat des militaires maliens, et d'autre part en adoubant dans le même temps le fils d'Idriss Déby au Tchad. La France avait interdit aux militaires maliens de mettre les pieds à Kidal, au nom de l'efficacité de la lutte contre les terroristes.

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Quel soldat de quel pays aurait accepté cela sans se sentir humilié ? Cette humiliation aurait été supportable si la France avait obtenu des résultats dans la lutte contre les terroristes et les indépendantistes touareg. Or le terrorisme n'a fait que s'amplifier dans le pays et chez les voisins. Et les irrédentistes touareg sont toujours actifs. Pourquoi les Maliens n'auraient-ils pas le droit de penser que les Français se livraient dans cette zone à des opérations pour le moins douteuses ? Et lorsque les soldats maliens renversent le régime pourri jusqu'à la moelle de Ibrahim Boubacar Kéïta dit IBK, c'est une volée de bois verts qu'ils se prennent de la part des officiels français qui ont oublié pour l'occasion le langage diplomatique. Or dans le même temps, le président français fonce à Ndjaména et assiste aux obsèques d'Idriss Déby, aux côtés de son fils qui venait de prendre le pouvoir en piétinant la constitution du pays.

Aucune condamnation de ce coup de force de la part de la France. Que voulez-vous que les Maliens et le reste de l'Afrique pensent ? Il y a quelques semaines, le pouvoir tchadien a réprimé dans le sang une manifestation de son opposition. Et la France est restée étonnamment silencieuse. Qu'est-ce que la France veut que ceux qui ont des cerveaux en Afrique pensent ? Ils penseront que les militaires maliens ont dérangé des intérêts français au Mali, alors que le fils Déby défend bien les intérêts français au Tchad. Quels intérêts ? Chacun peut maintenant faire son propre film, en disant par exemple qu'il y a dans ces zones des quantités phénoménales d'uranium, de pétrole ou d'autres richesses, etc.

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Tout cela se déroule au moment où la Russie lorgne aussi du côté des richesses réelles ou supposées de l'Afrique. Elle n'a eu qu'à souffler sur les braises d'un sentiment anti-français qui sommeillait depuis un certain temps au sein d'une frange frustrée de la jeunesse africaine, celle à qui on a refusé un visa, celle qui tire le diable par la queue et à qui il suffit de dire que c'est la faute à la France, les partisans de Laurent Gbagbo, les Camerounais, etc. Les réseaux sociaux et les fake news suffisent pour entretenir ce sentiment.

Il est temps que la France s'asseye et essaie, avec lucidité de décortiquer ses relations avec son « pré carré. » Si elle réussit à le faire, elle pourra sauver les meubles.

Venance Konan

Written by Venance Konan

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