Au Mali et Burkina, « la France paie sa volonté de vouloir maintenir une présence politique et militaire dans son ancien pré-carré » (Jean-Hervé Jézéquel)

En pleine disgrâce au Mali et au Burkina, la France doit s'inventer une stratégie pour rester militairement efficace et politiquement influente.

La tâche tarde à prendre forme : le président s'était donné six mois en février 2022 pour définir une stratégie après l'annonce de la fin de l'opération antijihadiste Barkhane, entamée en 2014. Un an plus tard, des conclusions sont attendues « dans les prochaines semaines », selon une source gouvernementale.

Le déclassement, de fait, est profond. Le dernier soldat français est parti du fin août après neuf ans d'opérations militaires. Les relations sont glaciales avec la junte de Bamako, qui s'est offerte les services du groupe paramilitaire russe Wagner.

En Centrafrique, où l'ex-puissance coloniale s'était déployée face aux violences intercommunautaires, les ultimes militaires présents sont partis en décembre. Et au Burkina, où les relations diplomatiques restent correctes pour l'instant, ce sont les 400 soldats des forces spéciales qui plient bagage.

Autant de signes parmi d'autres d'une lame de fond géopolitique alors que se dégrade l'image de la dans les opinions de la région, où des puissances concurrentes, Russie en tête, soufflent allègrement sur les braises.

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D'où le constat de Stephen Smith, professeur d'études africaines à l'université Duke aux Etats-Unis: « La France doit vivre avec le reproche qu'elle est responsable du bilan des indépendances », écrivait-il mardi dans le quotidien Le Figaro. « Mais il lui reste à comprendre le paradoxe que sa responsabilité monte en flèche alors que son influence en Afrique se réduit comme peau de chagrin ».

Depuis l'indépendance de ses colonies africaines, Paris a tenté de préserver ses réseaux et gérer ses intérêts. Cette politique lui revient en boomerang, alors que plus de 100.000 ressortissants français vivent en Afrique de l'Ouest et centrale et que nombre d'entreprises y sont implantées.

« La France paie sa volonté de vouloir maintenir une présence politique et militaire très forte dans son ancien pré-carré », résume à l'AFP Jean-Hervé Jézéquel, directeur du Projet Sahel de l'organisation de résolution des conflits Crisis Group. « Au Sahel, les responsabilités sont sans doute partagées. Néanmoins, La France a joué un rôle de chef de file et doit donc assumer ses responsabilités ».

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L'été dernier, Emmanuel Macron avait indiqué souhaiter redéfinir le projet de l'hexagone en Afrique, notamment avec une action militaire axée sur les partenariats avec les armées locales. Et une visibilité moindre. « L'Elysée demande dorénavant à son armée de raser les murs au sud du Sahara », ironise à cet égard Stephen Smith.

Mais quid alors de son efficacité militaire ? Le Mali est aujourd'hui inaccessible et, comme le Burkina, est impuissant face aux groupes jihadistes liés à Al-Qaïda et au groupe Etat islamique, qui s'étendent vers le Golfe de Guinée. « C'est une gabegie, on n'a pas de stratégie », souffle un ancien militaire de Barkhane, déplorant une absence de vision globale cohérente.

Katherine Zimmerman, experte du Sahel à l'American Enterprise Institute de Washington, note que les Français « font face à un problème d'accès » aux zones de prédation des groupes au Sahel, aggravant le défi déjà énorme de lutter contre des réseaux jihadistes profondément ancrés dans les enjeux politiques locaux.

« L'armée française ne peut plus viser le coeur des réseaux au Mali et au Burkina. A la place, elle devra s'appuyer sur la Côte d'Ivoire, le Niger et le Sénégal pour limiter la propagation et contenir le problème », précise-t-elle à l'AFP, relevant que Bénin, Togo et Ghana, désormais inquiétés, peuvent aussi y contribuer en facilitant des opérations frontalières.

Mais ce qui apparaît en filigrane est bien le recul de l'espoir d'une solution militaire alors qu'il reste quelque 3.000 militaires français au Sahel, après un pic à 5.500 en 2020.

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Au Mali par exemple, où l'armée sait que le rapport de force lui est défavorable, fût-ce avec l'aide de Wagner, « beaucoup d'élites pensent qu'il faut négocier pour trouver un compromis, notamment avec les groupes liés à Al-Qaïda », explique Lémine Ould Salem, analyste mauritanien.

Paris s'y est opposée « pour des raisons de doctrine », mais « c'est une de ses erreurs » car « un mauvais compromis vaut mieux qu'une guerre qui s'éternise » affirme-t-il. Selon lui, « la France aurait pu réussir sur le plan militaire si cela avait été accompagné par une démarche politique ».

Et s'il estime qu'un « modèle de coopération militaire très discret », éloigné des capitales, pourrait donner des résultats, il n'aboutira qu'à la « condition que les Africains eux-mêmes expriment ce désir-là. Sinon c'est voué à l'échec ».

Written by Mohammed Ouattara

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