Procès Bouaké : Dominique de Villepin accuse ses ex-collègues ministres des Affaires étrangères et de la Défense

Dans l'affaire de Bouaké, Dominique de Villepin, a renvoyé, sur ses collègues la responsabilité des errements de l'enquête.

Mouvements lents, tignasse poivre et sel hirsute, Jean Balan, l'avocat de nombreuses familles de victimes, se lève et apostrophe l'ancien Premier ministre, port altier, cheveux argents et costume bleu cintré.

« C'est formidable, vous avez donné un cour magistral », lui dit l'avocat. « J'étais un peu comme un étudiant qui écoute son professeur, bouche bée ».

Dans la salle, personne ne le contredit. M. de Villepin a livré à la cour d'assises de Paris un témoignage fluide et complet pendant deux heures, répondant à chaque question sans la moindre hésitation.

Mais son brio n'impressionne pas Me Balan, dont le travail sur le dossier depuis quinze ans n'est pas étranger à la tenue de ce procès atypique où trois accusés – un pilote bélarusse et deux officiers ivoiriens – sont jugé en absence car introuvables.

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Mais l'avocat sait aussi qu'il a peu de prise sur lui dans cette affaire où le ministère de l'Intérieur n'est, sur le papier, pas en première ligne.

C'est précisément la ligne de défense de M. de Villepin, qui précise dès le départ qu'il n'a été « ni présent, ni associé, ni informé » des grandes décisions du dossier franco-ivoirien, géré selon lui par le « triangle Elysée-Défense-Affaires étrangères ».

Il se lance dans un exposé fluide sur la crise ivoirienne, l'un des dossiers les plus chauds de son mandat au Quai d'Orsay (2002-2003). Pour éclairer la cour, précise-t-il aussitôt, pas pour « assumer une culpabilité ou des responsabilités qui passent par d'autres ».

A la barre, il rappelle le contexte très politique de cette affaire où les parties civiles et leurs avocats accusent Paris de ne pas en avoir fait assez, peut-être par intérêt diplomatique, pour retrouver les auteurs du bombardement.

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Il souligne que la France reste à l'époque très marquée par le génocide de 1994 au Rwanda et veut avant toute éviter une guerre civile en Côte d'Ivoire. Et que le bombardement de a été ordonné par des « extrémistes » gravitant autour du président ivoirien Laurent Gbagbo.

Sans vouloir parler de « raison d'Etat », le ministre livre une clé qui peut expliquer ensuite les hésitations de la France dans cette affaire.

« Notre seul interlocuteur possible au sud du pays », divisé en deux à l'époque, « c'est Laurent Gbagbo ». « Est-ce que lancer une action judiciaire immédiate (…) ne prendrait pas le risque d'enflammer les choses » ? « C'est une question qui se pose », dit .

L'ancien ministre aborde ensuite l'épisode togolais, au coeur des débats.

Le 16 novembre 2004, dix jours après le bombardement, le Togo arrête huit mercenaires bélarusses soupçonnés d'être impliqués et propose à la France de les lui livrer. Parmi eux figure Yury Sushkin, l'un des trois accusés, qui sera ensuite identifié comme l'auteur du bombardement.

L'un des policiers de l'ambassade française, Claude Taxis, rattaché au service du coopération du ministère de M. de Villepin, est prévenu par les Togolais. Il envoie alors un fax au ministère en fin de matinée, mais personne ne lui répond. Après quelques heures, il finit par appeler le ministère qui lui répond, à sa grande surprise, de « ne pas s'en occuper ».

Curieusement, ses collègues de la Défense et de la DGSE recevront les mêmes instructions, et l'ambassadeur de France n'aura lui non plus aucune réponse à son télégramme sur le sujet.

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M. Taxis « a reçu la réponse claire qu'il ne devait pas suivre cette affaire puisque le ministère de l'Intérieur est en charge de l'intérieur, pas de l'extérieur », répond froidement M. de Villepin.

L'ancien ministre ajoute que s'il avait été informé de la proposition togolaise, il en « aurait alerté l'Elysée ». Et conclut en renvoyant une fois de plus vers les Affaires étrangères et la Défense: « L'information a été transmise à deux ministère et a été traitée. On peut ne pas aimer la réponse, mais elle a été faite et assumée ».

Convoquée à la barre dans l'après-midi, Michèle Alliot-Marie, ministre de la Défense à l'époque, aura l'occasion de lui répondre.

Written by Hind Talha

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