Venance Konan à Macron: « nous nous détacherons progressivement de vous pour aller nouer d’autres partenariats »

Venance Konan, journaliste ivoirien et ancien DG de Fraternité Matin
Venance Konan, journaliste ivoirien et ancien DG de Fraternité Matin © Crédit photo DR

Lettre ouverte de Venance Konan à Emmanuel Macron réélu le dimanche 24 avril 2022 président de la République française, avec 57,6% des voix.

Cher Monsieur Macron

Il y a cinq ans, je vous avais écrit dans ces mêmes colonnes en tant que nouveau chef de notre grande famille appelée « francophonie » ou « françafrique », c'est-à-dire les pays africains ou non africains, mais surtout africains, qui dépendent du vôtre pour leur existence. Nous étions heureux de vous voir arriver à la tête de notre pays, pardon de votre pays, qui fut considéré pendant longtemps comme le nôtre aussi (savez-vous, Monsieur Macron, que nous avons eu les mêmes ancêtres pendant un certain temps ? Excusez-moi, ça crée des habitudes.)

Honnêtement, avec l'autre, votre adversaire qui est d'ailleurs toujours la même aujourd'hui, nous savions que cela n'aurait pas été joyeux tous les jours pour nos parents qui sont déjà chez vous et nous envoient de quoi joindre les deux boubous comme le chantait un de vous bardes, et surtout pour nous autres qui tirions le diable par la queue ici et rêvions d'aller voir nous aussi la couleur de l'herbe de chez vous. Vous vous retrouvez encore une fois confronté à elle et je peux vous assurer que pour nous, rien n'a changé. Elle n'a pas changé et nous non plus.

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Nos rêves d'aller cuisiner du Maffé sur la pelouse de la Tour Eiffel, d'aller danser du Ndomolo sur le gazon de l'Elysée et de voir tous les Français habillés comme nos sapeurs congolais sont toujours intacts. Votre compatriote Eric Zemmour a beau parler de grand remplacement, de s'en inquiéter, de vous mettre en garde, mais qu'y pouvons-nous ? C'est votre problème si vous ne voulez plus faire d'enfants. Chez nous on les fait et on laisse Dieu s'en occuper.

Et si Dieu ne laisse jamais tomber les oiseaux du ciel, ce ne sont pas ses propres enfants qu'il abandonnera. Donc, tant que Areva continuera de nous prendre notre uranium pour aller éclaire vos rues, tant que les djihadistes continueront de nous massacrer systématiquement, nous continuerons de venir chercher asile chez vous. Oui, nous avons envie de voir à quoi ressemble une ville lumière, une ville propre, où il n'y a pas de délestage ou de coupures d'eau et ce que c'est que de dormir le ventre plein et de se réveiller sans craindre d'être égorgé pendant son sommeil. Il est vrai qu'il y a de temps à autre des attentats terroristes chez vous, mais ils n'ont pas le caractère systématique et répétitif qu'ils ont chez nous.

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Bref, Monsieur Macron, vous pouvez être certain qu'ils ne seront pas nombreux, ceux qui ont la même tête que moi, qui ont le droit de voter chez vous ou ailleurs, qui le feront pour votre adversaire. Il en est de même pour ceux qui ont la même tête que vous je crois. Donc à priori vous serez demain le nouveau président de notre « françafique ».

Vous avez dit dans l'entretien que vous aviez accordé à Antoine Glaser et Pascal Airault, les auteurs du livre « le piège africain de Macron » (éditions Fayard) que « la françafrique ne (vous) obsède pas. Ce truc va passer…C'est générationnel. » Je me permets de ne pas être d'accord avec vous, Monsieur Macron. La « françafrique », ce n'est pas uniquement les relations entre la France et l'Afrique. C'est tout à fait normal qu'il y en ait, et qu'elles aient une forme particulière, compte tenu des liens très étroits que nous entretenons. Ce qui nous gêne, c'est la forme que vous, vous donnez à ces relations.

C'est cette espèce de condescendance, cette façon de nous parler, de vouloir nous dicter ce que nous avons à faire, qui nous pose problème. Et c'est ce qui nous étonne de la part d'un président aussi jeune que vous. Par exemple lorsque vous dites dans le livre cité plus haut, page 227 : « On a eu une discussion de nuit où je dis à Kéïta (Ibrahim Boubacar Kéïta, président du Mali renversé par un coup d'Etat le 18 aout 2020) : ton problème, c'est ton fils… ça les a déstabilisés. Ils se sont regardés…Il y en a un qui a dit : « notre jeune frère est assez franc, etc. Mais à un moment cela s'est débloqué et ils ont tous parlé. »

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Voyez-vous, M. Macron, pour nous, le respect exigeait que vous ne parliez pas de cela dans un livre. Vous avez le droit de dire ce que vous voulez au président IBK, mais en privé. Pas sur la place publique. Plus loin à la page 229 vous dites d'Alassane Ouattara : « ça a été une déception ! Je le lui ai dit. » Imaginez la réaction de votre diplomatie si c'était un autre président qui avait dit cela de vous.

Et puis, que voulez-vous que nous pensions lorsque vous allez en personne adouber le fils Déby qui a pris le pouvoir par la force dans son pays, lorsque vous ne pipez mot sur les coups d'Etat en Guinée et au Burkina Faso, alors que vous ne trouvez pas de mots assez durs pour fustiger les putschistes maliens ? Pourquoi ne voulez-vous pas qu'une partie de notre opinion pense qu'entre vous et le Mali il se passe beaucoup de choses que l'on nous cache et qui n'ont rien à voir avec les intérêts du Mali ?

Pourquoi ne voulez-vous pas que cette partie de l'opinion se tourne vers les Russes, que ce soit à travers l'Etat ou le groupe de mercenaires Wagner ? Vous avez dû certainement remarquer que malgré la guerre en Ukraine, le Cameroun vient de signer un partenariat militaire avec la Russie, que le Sénégal ne vous a pas suivi dans les votes contre la Russie.

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Si vous continuez à nous parler comme à des gamins attardés, nous nous détacherons progressivement de vous pour aller nouer d'autres partenariats ailleurs, et peut-être même avec le diable. Et nous vous dirons que cela ne vous regarde pas.

Written by Venance Konan

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