Affaire tarifs Data internet : droit de réponse de Jean Bonin au ministre ivoirien de l’économie numérique

À l'occasion du Conseil des ministres du 19 avril dernier, le ministre de l'économie numérique a fait un certain nombre de déclarations concerne les tarifs de la Data internet.

1 – En ce qui concerne les tarifs de la Data internet

D'après le ministre, “la Côte d'Ivoire, en matière de data, pour ce qui est du tarif de base, est un des pays les moyens chers. Le Mali est à 3,03F, le Togo à 2.02F, le Sénégal à 3,03F, la Guinée à 1,34F, le Burkina Faso à 10F, nous sommes alignés sur le Cameroun qui est à 1FCFA. J'ai accès à des sources officielles”.

Le moins qu'on puisse dire c'est que le ministre manie à merveille l'art du flou artistique. En effet, on peut faire dire tout et n'importe quoi à des chiffres lorsque nul n'en connaît la source.

Les statistiques données par le ministre, dont on ne sait si elles concernent le monde, l'afrique, la Cedeao ou l'Uemoa, datent de quand ? Où peut-on les consulter (source) ?

Contrairement au porte-parole du gouvernement, nous allons donner des sources fiables et vérifiables qui révèlent les coûts réels de l'internet en afrique. Elles proviennent d'un bureau d'études de référence, le cabinet anglais dénommé « Cable Co » qui a effectué une étude sur la tarification des données mobiles dans le monde en 2022. Elle est basée sur le calcul et la comparaison du coût moyen d'un gigaoctet à 5 000 plans de données mobiles dans 233 pays. Elle peut aisément être consultée en cliquant sur ce lien : https://www.warketingdigital.net/pays-africains-cout…/

Il ressort de cette étude de référence que “sur 13 régions étudiées en Afrique, l'Afrique du Nord est la région où les données mobiles coûtent le moins cher avec en moyenne 1 dollar par gigaoctet. Ainsi, pour la 3ᵉ année consécutive, la Tanzanie demeure le pays avec le coût d'internet le moins cher de l'Afrique de l'Est avec 0,71 $/Go, soit 423FCFA le Gigaoctet”.

L'étude révèle, par ailleurs, que sur les 54 pays, “la Côte d'Ivoire est le 15ᵉ pays avec l'internet le plus cher en Afrique, avec un prix moyen de l'internet mobile de 3,06 $ soit 1 826 FCFA”.

LIRE AUSSI: Élections et régionales 2023 : le FPI présente son candidat dans la région du Gontougo

Alors que le porte-parole du gouvernement a affirmé que la Côte d'Ivoire se situait au même niveau que le Cameroun, cette excellente et détaillée étude démontre le contraire. Elle montre que nous sommes presque deux fois plus cher que ce pays, dont le gigaoctet coûte 1,53 $, ce qui le positionne à la 25ᵉ place, alors que la Côte d'Ivoire est, lui, le 15e pays le plus cher d'afrique et que son voisin le Ghana, à la 40e place, est le moins cher de la région Cedeao avec 0,61 dollar (364 FCFA le Go).

Le ministre a affirmé que “en terme de prix moyen nous ne sommes pas les plus chers” et que “en terme de facilité d'accès à la data, la Côte d'Ivoire est le 2e pays le moins cher”.

Là encore, l'étude dévoile une toute autre réalité qui est que l'Afrique subsaharienne ne compte que cinq pays parmi les 50 pays les moins chers du monde et que contrairement au Ghana, la Côte d'Ivoire n'y figure pas.

Manifestement, ceux qui ont communiqué ces chiffres au ministre, à qui nous accordons le bénéfice du doute, l'ont trompé. Cela, d'autant que ses statistiques n'apparaissent nulle part sur le site internet du régulateur ivoirien ; l'Artci.

Les chiffres publiés sur la même période, 2022, par , confirment ceux de Cable Co en établissant que “sur les 15 pays de la CEDEAO la Côte d'Ivoire est le 5e pays où le prix de base du Go d'internet coûte le plus cher”. Nous sommes donc très loins des champions des prix les plus bas que sont respectivement le Ghana, le Nigéria (424FCFA), la Sierra Leone (752), Guinée Bissau (913) et le Sénégal (913FCFA).

LIRE AUSSI: Braquage d'une station de service à Tiassalé : deux blessés, des millions emportés

Au final, ce sont donc deux sources différentes qui contredisent éloquemment les déclarations péremptoires du porte-parole du gouvernement.

4 – En ce qui concerne le déséquilibre financier du secteur.

D'après le ministre, “la voix qui permettait aux opérateurs de faire du chiffre est en baisse. Il y a eu une baisse sur les revenus. Ce qui a provoqué le déséquilibre du secteur.…”.

Comment le ministre peut-il raisonnablement affirmer que l'équilibre financier du secteur est affecté alors même que Le groupe Orange Côte d'Ivoire a distribué à ses actionnaires 20 milliards FCFA en 2019, 70 milliards FCFA en 2020, 120 milliards FCFA en 2021 et pour 2022 les a cadeauté d'un dividende record de 126 milliards FCFA, avec un résultat net consolidé de 153,5 milliards FCFA !

Non ! M. le ministre, le secteur se porte bien, très bien même et vos affirmations pour justifier la fixation d'un prix plancher, à 0,80FCFA le Mo, ne résistent pas à l'analyse comparative et ne reposent sur aucune donnée financière pertinente et crédible. Aucun des trois opérateurs, Moov, Mtn et Orange n'est en détresse financière. Bien au contraire, si l'on s'en tient aux éléments contenus dans la décision N°2023-0834 du 12 janvier 2023 de l'Artci qui affichent les excellents résultats financiers que tous ont réalisés en 2022.

On peut y lire notamment que «… suivant les données issues des restitutions règlementaires déclarées par les opérateurs de téléphonie mobile, basées sur les chiffres certifiés de 2020 et 2021, les revenus sur le service data ont malgré tout connu une croissance entre 2020 et 2021 de 31,6% pour , 21,6% pour et de 14,6% pour MOOV AFRICA CI;

Que de plus, la profitabilité des opérateurs de téléphonie mobile sur le service data sur la même période, est en constante amélioration pour chacun d'eux (en raison notamment du fort accroissement des usages), avec une croissance des marges dégagées sur ledit service entre 2020 et 2021 de 95%, 39% et 6,4% respectivement pour ORANGE CI, MTN CI et MOOV AFRICA CI…”.

LIRE AUSSI: San-Pedro: un redoutable agresseur arrêté par les policiers de la BRI

À aucun moment le régulateur ne fait référence à une crise pérenne ou même à une probable récession dans le secteur des télécommunications et qui expliquerait, d'après le ministre de l'économie numérique, qu'il fixe un prix plancher de 0,80FCFA, “dans l'intérêt du consommateur”.

Pour nous convaincre de la justesse de ses propos, le porte-parole du gouvernement dit “nous sommes dans la vision du chef de l'Etat pour une Côte d'Ivoire solidaire, pour défendre les intérêts du consommateur. Plafonnement du prix de la viande, du prix du pain, le carburant, de l'huile… ce serait paradoxal qu'un gouvernement qui fournit autant d'efforts pour protéger le consommateur et son pouvoir d'achat soit celui-là même qui augmente le coût de la data”.

M. le ministre, vous auriez plafonné le prix des datas que nul n'en aurait eu à redire. Mais en l'espèce, vous n'avez pas fixé un prix PLAFOND mais plutôt un prix PLANCHER. Ça change tout.

C'est d'ailleurs une grave entrave aux dispositions de l'article 171 de l'Ordonnance n° 2012-293 du 21 mars 2012 portant code des télécommunications, qui fixe le principe de la liberté tarifaire, d'une part, et, d'autre part, aux dispositions pertinentes de l'Ordonnance n° 2013-662 du 20 septembre 2013 relative à la concurrence qui prohibent l'imposition de tarifs minimum.

En effet, l'article 1 de cette ordonnance définit la fixation d'un prix plancher comme “le fait pour toute personne d'imposer, directement ou indirectement, un caractère minimal au prix de revente d'un produit ou d'un bien, au prix d'une prestation de service ou à une marge commerciale”. L'article 2 quant à lui dispose que “les prix des biens, produits ou services échangés en Côte d'Ivoire sont librement déterminés par le jeu de la concurrence”.

LIRE AUSSI: Fête de la Liberté du FPI 2023 : le parti mobilisé pour les élections régionales et municipales

3 – Conclusion

M. le ministre, parce que de nos jours, avec l'avènement de l'internet il est difficile de « cacher le soleil avec la main, il résulte de tout ce qui précède que rien, absolument rien, tant sur le plan économique et financier et encore moins sur le plan juridique, ne milite en faveur de la fixation d'un prix plancher, au demeurant si élevé.

L'internet est un bien qui devrait être accessible au plus grand nombre et non seulement à une certaine élite. Le cordonnier, le chauffeur de taxi, le commerçant en ligne, l'élève et l'étudiant, la servante… tous ont aujourd'hui besoin que cet outil d'émancipation, de formation et d'entreprenariat soit democratisé.

Nous ne demandons pas la gratuité, comme on peut l'avoir depuis 2014 à Taïwan, pays qui propose le WiFi gratuitement, non seulement aux touristes mais également aux citoyens et qui pour cela a mis en place pas moins de 4 400 bornes à travers tout le pays.

LIRE AUSSI: Bouna: des coupeurs de routes trahirent par leurs téléphones abandonnés lors d'un braquage

Les populations ivoiriennes qui sont fières du développement croissant des infrastructures dans leur pays depuis une dizaine d'années voudraient, au même titre que leurs voisins ghanéens ou nigérians, jouir, eux aussi, de tarifs attrayants. Ils souhaiteraient que le ministre des TIC et le régulateur soient du côté des populations et non de celui de ceux qui engrangent depuis plus de 20 ans des profits colossaux et qui n'ont aucun besoin que l'Etat s'apitoie sur leur reluisant sort.

C'est en écoutant le cri de coeur des consommateurs que vous donnerez un sens vrai à la vision du Chef de l'Etat d'une « Côte d'Ivoire solidaire », de sorte que celle-ci ne reste pas juste une vaine proclamation ni un creux slogan de campagne électorale.

Pour FIER, le président, JEAN BONIN KOUADIO

Juriste

Written by Jean Bonin

Sortie de la promotion de l'École nationale d'administration de Côte d'Ivoire - ÉNA

ENA : sortie de la 57e promotion

Procès contre l’ARTCI et les opérateurs télécoms: Me François Serres, l’avocat français des consommateurs ivoiriens, déjà à Abidjan