Mamadou Koulibaly à propos de la future monnaie de la CEDEAO: « l’ÉCO condamné à rester une idée sur le papier »

Mamadou Koulibaly, ancien président de l'Assemblée nationale de Côte d'Ivoire © Crédit Photo DR
Mamadou Koulibaly, ancien président de l'Assemblée nationale de Côte d'Ivoire © Crédit Photo DR

Mamadou Koulibaly a animé le 25 mai 2022, une conférence sur le thème : Un an après la clôture du compte d'opérations que deviennent le CFA et l'ÉCO, la monnaie unique de la CDEAO ?

L'évènement s'est tenu au siège de l'ordre des architectes de Côte d'Ivoire. La date de la conférence était loin d'être fortuite puisqu'elle correspond à celle de la Journée de l'Afrique, qui commémore une aspiration d'unité et d'émancipation africaine vieille de près de 60 ans, mais qui hélas tarde à se concrétiser !

Dans une salle pleine à craquer, qui a malheureusement dû refuser du monde, les participants ont été tenus en haleine pendant plus de 2 heures par l'exposé analytique, documenté et étayé de chiffres et de graphes du professeur Koulibaly. L'objectif du conférencier était de fournir des clés de compréhensions au public dans la salle ainsi qu'aux internautes, nombreux à suivre le direct en ligne depuis la page Facebook de ThinkTMK (https://fb.watch/dnbgBTqyUj/), du fonctionnement actuel du FCFA et de sa relation avec les comptes du Trésor public français. Pour rappel, ce compte a été clôturé, il y a un an, sous la pression et les critiques. Des échanges très animés entre le conférencier et les participants ont suivi son exposé dont nous proposons ici un résumé. Nous publierons également dans les jours à venir divers extraits vidéo. Ne les ratez pas, restez à l'écoute !

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Fermeture du Compte d'Opérations : quel impact sur notre quête pour la souveraineté ?

Avant d'entrer dans le vif du sujet, a expliqué, en termes simples, ce qu'était ce compte d'opérations à savoir : « un compte ouvert par un groupe de pays africains dont le nôtre, auprès du Trésor public français pour y déposer une partie de leurs réserves en devises, comme si nous étions des contribuables français ! En retour le trésor français assurerait la garantie de parité et la libre convertibilité du FCFA».

En 2019, pour apaiser les critiques de plus en plus acerbes dont est l'objet cette aberration néocoloniale qu'est le franc CFA, Macron et Ouattara annoncent avec grand fracas une réforme « historique » du CFA. Mais celle-ci n'aura en réalité consisté qu'en un jeu de passe-passe pour créer l'illusion de la reforme au lieu d'engager des changements de fond. Par exemple, ils décident d'en changer le nom. Car pour eux, se débarrasser de ce label CFA, irrémédiablement entaché, discrédité et raillé de toutes parts, est assurément la solution pour calmer le jeu et tromper les populations africaines désormais conscientes qu'il contribue à les maintenir dans la pauvreté. Et de jeter leur dévolu sur l'ÉCO, le nom de la future monnaie unique de la CEDEAO. En prime, ils annoncent également deux autres décisions sans portée réelle: la suppression de l'obligation de centralisation des réserves de change sur le compte d'opérations au trésor français et le retrait de la France des instances de gouvernance de la zone franc. Comme si ces mesurettes pouvaient rendre aux populations africaines leur souveraineté confisquée.

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Devant un public captivé par son analyse mordante, le conférencier a martelé : « ne soyons pas dupes !». Toute cette gymnastique c'est de la poudre aux yeux ! On est loin d'avoir coupé le cordon ombilical lorsqu'après ce jalon qualifié d'historique, près de 73% des 45.5 tonnes des réserves d'or de l'UMOA est conservé dans les coffres forts de la banque de France, et seulement 16% au siège de la BCEAO !

À la fin de 2020, avant la clôture du compte d'opérations, la totalité des avoirs en devises de la BCEAO se chiffrait à 8.025 milliards de FCFA dont 6.156 milliards étaient logés dans le compte d'opérations. Après la fermeture, la BCEAO a dispatché les avoirs de ce compte vers divers correspondants étrangers et des portefeuilles de titres. Il faut noter que 90% des portefeuilles de titres de la BCEAO sont investis en bons du trésor des états membres de l'Union Européenne (UE), donc libellés en Euros. Mais ceux-ci paient des taux d'intérêt extrêmement faibles, et parfois négatifs, même s'il faut préciser que le rendement n'est pas le seul critère pour juger de l'attractivité d'un placement.

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En clair, la banque centrale a prêté nos réserves de change aux états de l'UE à des taux d'intérêts qui varient entre 0 et 0,4 %. Dans le même temps nos pays empruntent des fonds par l'émission d'eurobonds, à des taux d'intérêts variant entre 4 et 8 %. Selon Koulibaly, la BCEAO devrait s'attacher, dans sa gestion de nos réserves de changes à, entre autres, minimiser le différentiel de taux évoqué, et renforcer sa gestion des risques de marché et de crédit grâce à une plus grande diversification de son portefeuille. Car pour n'avoir pas pu ou pas su adapter la composition de son portefeuille de placements aux risques de marché du moment, en particulier ceux liés aux taux d'intérêts, la BCEAO a accusé un résultat net d'intérêts en baisse de 67 milliards de FCFA (-36%) entre 2020 et 2021.

Selon l'analyse du professeur Koulibaly, cet objectif est tout à fait atteignable par l'acquisition, par exemple, d'obligations chinoises faiblement corrélée avec le reste des actifs, qui non seulement introduiraient une diversification d'une nécessité criante dans ce portefeuille, mais offriraient de bien meilleurs rendements. En effet, en décembre 2021, le rendement des obligations chinoises d'une maturité de 10 ans, était d'environ 2,876%, contre 0,048% pour la France et -0,319% pour l'Allemagne.

Durant la même période, le taux d'inflation annuel de la zone euro était estimé à 5,0% selon une estimation d'Eurostat, l'office de statistiques de l'Union européenne. De fait, le taux d'intérêt réel dans la zone Euro pour les obligations d'État était donc de -4,952% (0,048%-5,0%). Entre gagner 2,9% sur vos avoirs et devoir payer votre débiteur presque 5% d'intérêt pour le privilège de lui prêter VOTRE argent, que choisiriez-vous ?

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Que retenir des supposées réformes du CFA ?

On retiendra que le compte d'opération est fermé mais que l'on n'est pas sorti du giron de l'État français. En effet, 73% de nos réserves en or y est toujours stocké et l'essentiel de notre portefeuille de placements est placé dans des bons du trésor et des obligations d'état des pays de l'UE. C'est bien la preuve que le problème de fond n'est pas le compte d'opérations, mais bel et bien cette relation malsaine de captivité qui existe entre les pays de la zone franc et la France. Là où les peuples de l'UEMOA rêvent d'indépendance et de la fin du contrôle direct et implicite des autorités françaises sur leurs vies et leurs avoirs, la patrie des droits de l'homme et de la liberté et ses auxiliaires africains répondent par des tours de passe-passe outrageants. Le dispositif de contrôle français, certes moins visible, reste tout aussi efficace, et de surcroit, moins onéreux pour la France.

Alors que faire? Pour Koulibaly, la BCEAO a manqué d'audace et de compétence alors que l'occasion lui était offerte d'entrer dans son rôle. Elle gère dorénavant des montants de réserves de plus en plus importants et devrait s'affranchir de l'infantilisme monétaire qui imprègne à ce jour ses activités. Elle devrait oser œuvrer dans le sens de la construction de notre destin commun en conformité avec nos intérêts bien compris. Dans cette optique, un portefeuille beaucoup plus diversifié qui serait aussi composé d'or, d'obligations chinoises, d'actions d'entreprises privées non liées aux activités d'État, d'un panier de devises fortes non traditionnelles, et d'investissements dans les fonds spéculatifs (Hedge Funds) liquides et à haut rendement, peu corrélés à ses placements traditionnels, serait idéal.

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Au vu du constat peu reluisant sur le CFA, comment croire à la construction de la monnaie unique de la CEDEAO ?

Mamadou Koulibaly, répondant à plusieurs questions de l'assistance sur de la future monnaie de la CEDEAO, conclut que L'ÉCO semble pour le moment être condamné à rester une idée sur le papier. Après plusieurs décennies d'annonces, les instances qui devraient organiser sa création et le gérer n'existent toujours pas. En effet, depuis 40 ans qu'il est question de l'ÉCO, la création de l'union monétaire et de la banque centrale émettrice se fait attendre. De plus, l'absence d'énoncé des modalités de gestion de cette monnaie en trompe-l'œil laisse perplexe.

Pour le conférencier, il faut y voir un manque de volonté des états membres de la CEDEAO, qui n'envisagent pas sérieusement de passer à l'acte. Selon le traité révisé de la CEDEAO, L'ÉCO serait une monnaie unique au sein de l'Union. Le meilleur exemple d'une telle monnaie est le dollar qui est au cœur du modèle fédéraliste américain. Il nécessite une vraie intégration politique avec, au niveau fédéral, un gouvernement unique, un parlement unique, un budget unique, un déficit unique, un système fiscal unique et une politique monétaire unique. Or Il est clair que, par leur inaction et leurs manœuvres dilatoires depuis 40 ans, chaque pays (ou plutôt président) de la CEDEAO préfère conserver sa monnaie et sa souveraineté dans les limites de son territoire. Il est aussi évident que les pays qui ont en commun le FCFA manquent de courage pour se lancer, sans la France, dans la gestion souveraine de leurs économies, préférant œuvrer aux côtés de celle-ci à la disqualification du processus de construction de la monnaie unique en prenant systématiquement le contrepied de ses caractéristiques les plus essentielles (parité flexible etc..).

Conclusions

En réponse à la question d'un participant rapportant le « conseil » d'une personnalité en vue qui prône de « laisser de côté les débats sur la monnaie et de se concentrer sur le travail pour s'émanciper », Koulibaly a encouragé son auditoire à ne pas se laisser berner par de tels propos. C'est tout simplement de l'escroquerie intellectuelle. Car rien n'est plus faux! On aura beau travailler, si nous ne gérons pas notre monnaie, nos efforts seront vains car la monnaie est un puissant instrument de structuration économique, de développement, d'émancipation et de souveraineté. Lorsque le taux de change et le taux d'intérêt sont faux dans une économie, alors tous les autres prix seront faussés et le calcul économique lui-même devient bancal. Comment un pays peut-il faire les bons choix d'allocation de ressources et se développer dans ces conditions?

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Si la survie du franc CFA fait l'objet de tant d'acrobaties et d'élucubrations les plus inattendues de la part de la France, ce n'est pas par bonté de cœur. C'est bien parce qu'elle y trouve son intérêt vital.

Pour notre part, nous concluons que ces tours de passe-passe entre la France et ses acolytes africains ne devraient plus tromper personne. Elles frisent la perfidie et, tristement, puent la trahison de la part de certains présidents africains. Elles démontrent une fois de plus que le colon est décidemment peu enclin à lâcher sa proie. La clé du contrôle a été et reste le CFA. Le combat contre l'asservissement doit continuer sans relâche et s'intensifier. La vigilance de tous est de mise.

Le TTMK

Written by YECLO.com

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