Nicolas Kouassi-Akon analyse l'actualité politique de ces derniers temps en Côte d'Ivoire et se demande « comment la situation s'est-elle dégradée à ce point alors que le RHDP a évolué depuis août 2015 » ?
L'actualité politique de ces derniers temps en Côte d'Ivoire surprend bon nombre d'observateurs nationaux et internationaux par les invectives proférées les uns contre les autres, par certains cadres du Rassemblement Des Républicains (RDR) d'une part et ceux du Parti Démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI-RDA) d'autre part. C'est une situation inédite dans la mesure où ces deux grands Partis politiques qui sont alliés au sein du Rassemblement des Houphouetistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP) depuis le 18 mai 2005, et gouvernent ensemble la Côte d'Ivoire au terme de la crise post-électorale de 2010-2011, semblaient réconciliés à jamais.
Comment la situation s'est-elle dégradée ?
Mais comment la situation s'est-elle dégradée à ce point alors que le RHDP a évolué depuis août 2015 en Groupement de six Partis politiques, à savoir le PDCI-RDA, le RDR, l'UDPCI, le MFA, l'UPCI et le PIT, et que l'entente entre les Présidents Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara semblait si parfaite ?
Il me semble que la réponse à cette question est à rechercher dans la Plate-Forme du RHDP et dans l'Appel de Daoukro du 17 septembre 2014.
En effet, aucun des trois piliers de l'Appel de Daoukro à savoir, la candidature unique, le Parti unifié et l'Alternance en 2020 n'a de fondements dans les dispositions de la Plate-Forme du RHDP qui constitue aujourd'hui encore la seule base juridique en vigueur dans ce Groupement politique.
La candidature unique
Sur proposition du Président Henri Konan Bédié, la candidature unique au RHDP adoptée par tous les Partis membres au profit du Président Alassane Ouattara pour l'élection présidentielle de 2015, a permis l'élection de ce dernier dès le premier tour. Mais déjà à l'époque, des hauts cadres du PDCI-RDA, qualifiés avec un certain mépris d'irréductibles, ont contesté cette décision qui violait la résolution de leur XIIème congrès exigeant la candidature d'un militant actif de leur Parti à cette élection de 2015, conformément à la Plate-Forme du RHDP qui dispose, et je cite : « pour l'élection présidentielle, le RHDP reconnait à chaque Parti le droit de présenter son candidat au premier tour. Cependant, les Partis du RHDP s'engagent à soutenir, au second tour, le candidat arrivé en tête des Partis signataires de la Plate-Forme », fin de citation.
Notons que cette disposition empreinte de réalisme politique a été respectée par tous les membres du RHDP à l'élection présidentielle de 2010. C'est également elle qui assure la survie du RHDP dans la durée, car aucun Parti politique crédible ne peut renoncer plusieurs fois de suite à sa raison d'être, c'est à dire la conquête et l'exercice du Pouvoir d'Etat.
Il importe donc de retenir que cette réalité impose à tout membre soucieux de la survie du RHDP dans la durée, de veiller au respect strict de cette disposition de la Plate-Forme qui constitue un des principaux piliers porteurs du RHDP.
Le parti unifié
L'Appel de Daoukro prévoit la création d'un Parti politique unifié regroupant tous les Partis membres du RHDP. La loi N°93-668 du 9 avril 1993 relative aux Partis et Groupements politiques les définit comme suit :
• Le Parti politique est une association de personnes physiques qui adhèrent aux mêmes idéaux politiques, s'engagent à les faire triompher par la mise en œuvre d'un programme, en vue de conquérir et d'exercer le pouvoir selon les principes démocratiques définis par la Constitution.
• Le Groupement politique est,
• Soit une association de Partis politiques qui partagent les mêmes idéaux et adoptent les mêmes méthodes pour la mise en œuvre de leur programme
• Soit une association de personnes physiques ayant pour objet de concourir à la réalisation du programme d'un Parti politique.
L'évolution du RHDP depuis sa création s'inscrit dans un schéma logique, à savoir :
• Première étape
Des Partis politiques existants (le PDCI-RDA, le RDR, l'UDPCI et le MFA) décident de créer le 18 mai 2005, l'Alliance RHDP pour conquérir et exercer le pouvoir en vue de remettre la Côte d'Ivoire sur la voie tracée par le Président Felix Houphouët Boigny. Le RHDP, dans son statut d'Alliance électorale et dans le respect des engagements pris par ses membres, remporte les élections présidentielles, législatives et locales organisées respectivement en 2010, 2011 et 2012. Dans ce statut souple et respectueux de l'autonomie de ses membres, le RHDP a démontré ainsi son efficacité et sa pertinence malgré certains dysfonctionnements internes tels que : le rattrapage ethnique, le découpage électoral, la composition de la Commission Electorale Indépendante (CEI), le choix des candidats aux élections législatives et locales, etc.
• Deuxième étape
A la suite de l'Appel de Daoukro, le RHDP est érigé en Groupement politique au mois d'août 2015. C'est grâce à ce statut que le Président Alassane Ouattara est investi candidat unique du RHDP dès le premier tour de l'élection présidentielle du 25 octobre 2015, nonobstant les candidatures de quatre hauts cadres du PDCI-RDA qui contestaient cette décision attentatoire à l'autonomie de leur Parti consacrée par la Plate-Forme du RHDP et à la résolution de son XIIème congrès.
Malgré les fractures provoquées au PDCI-RDA par ces frustrations, le RHDP remporte l'élection présidentielle de 2015 au premier tour. Il triomphe également aux élections législatives, mais sans l'UDPCI et l'UPCI qui ont dû présenter séparément leurs candidats, pour désaccord sur la répartition des circonscriptions électorales, comme le leur autorise la Plate-Forme du RHDP. Cependant les succès du RHDP dans son nouveau statut de Groupement politique ont mis en évidence les risques que la remise en cause de l'autonomie de ses membres fait peser sur sa cohésion, voire son existence.
A la lumière de tout ce qui précède, la question sur laquelle les membres du RHDP doivent s'interroger est celle de savoir ce qui justifie la volonté et l'urgence de transformer le Groupement RHDP en Parti politique unifié ? D'autant plus que ce Groupement qui doit consolider ses acquis, gagnerait à se renforcer davantage avant de s'engager dans une nouvelle étape. Il convient surtout avant cette étape, de recueillir démocratiquement l'avis des militants des Partis membres à tous les niveaux, notamment sur l'épineuse question de la dissolution de leurs Partis respectifs, pour ne pas mettre la charrue avant les bœufs. La marche à pas forcés vers la création du Parti unifié avec la mise en place du Comité de Haut Niveau et l'exigence du RDR de réaliser le projet de ce Parti dans les plus brefs délais, s'expliquent difficilement.
Le Président Félix Houphouët Boigny n'a eu de cesse de nous recommander et je cite : « la patience est une arme essentielle en politique, ne vous en séparez jamais », fin de citation.
Alors patience, patience et encore patience. Laissons germer la graine du Parti unifié semée par l'Appel de Daoukro jusqu'à la maturité, avant la cueillette des fruits.
L'alternance en 2020
L'Appel de Daoukro avait suscité beaucoup d'interrogations parmi les militants du PDCI-RDA qui avaient fini par l'endosser au congrès extraordinaire du 28 février 2015 à Abidjan, avec l'assurance ferme d'une Alternance en 2020 au profit de leur Parti. Ce qui postulait l'accord du Président Alassane Ouattara et du RDR pour que le candidat du PDCI-RDA soit le candidat unique du RHDP à l'élection présidentielle de 2020. Si je me réfère aux propos du Secrétaire Exécutif en chef du PDCI-RDA, le Professeur Maurice Kakou Guikahué, à la journée d'hommage au Président Henri Konan Bédié, le 10 mars 2018 à Yamoussoukro, et je cite : « ceux qui disent il n'y a jamais eu promesse, rassurez-vous. Il y a bel et bien eu promesse et il y a eu un témoin », fin de citation.
Le Président Alassane Ouattara a donc promis l'Alternance en 2020 au Président Henri Konan Bédié à Daoukro au profit du PDCI-RDA en contrepartie de son Appel, et ce devant au moins un témoin.
Mais le Président Alassane Ouattara a déclaré sur le plateau de la RTI, au lendemain de sa réélection le 26 octobre 2015, et je cite : « je suis d'accord avec l'Appel de Daoukro. Nous devons faire un Parti unifié, c'est ça l'objectif. Il y aura une Alternance. Elle est certaine. Mais par rapport à ma personne. Parce que moi, je ne serais pas candidat en 2020. Mais à partir de là, le Parti unifié verra le mécanisme par lequel il devra choisir la meilleure personne pour aller aux élections », fin de citation. Il semble que c'est actuellement la position officielle du RDR qui demande la création du Parti unifié dans l'urgence.
Le Président de l'UDPCI, le Ministre Mabri Toikeusse a déclaré à maintes reprises qu'il sera candidat à l'élection présidentielle de 2020. Il en est de même pour le fondateur de l'UPCI, le ministre Gnamien Konan. Mais la nouvelle direction de l'UPCI ainsi que le MFA et le PIT ne se sont pas encore prononcés officiellement sur ce sujet.
Ces données autorisent à penser que la mise en œuvre de l'Alternance en 2020 au profit d'un candidat désigné par le PDCI-RDA ne sera pas une chose aisée. Même le RDR, le principal allié, ne semble pas disposé à renvoyer l'ascenseur au PDCI-RDA en 2020, malgré la promesse du Président Alassane Ouattara.
Si on considère le fait que la raison d'être de tout Parti politique digne de ce nom, c'est la conquête et l'exercice du Pouvoir d'État, on comprend aisément que toute initiative tendant à introduire l'Alternance ou la rotation dans le choix du candidat du RHDP à la présidentielle soit vouée à l'échec. Car aucun Parti politique ne peut être absent plusieurs fois de suite à l'élection présidentielle sans compromettre sa survie.
Le PDCI-RDA ne peut se permettre de ne pas présenter un de ces militants à l'élection présidentielle de 2020, après l'épisode de 2015. Il en est de même pour les autres membres du RHDP, à l'exception peut-être du RDR qui a bénéficié de deux mandats de suite (2010-2015-2020). On comprend pourquoi les signataires de la Plate-Forme du RHDP ont laissé à chaque Parti membre la liberté de présenter un candidat au premier tour de l'élection présidentielle.
Conclusions et recommandations
Au terme de cet exposé certainement non exhaustif, je voudrais retenir les conclusions et recommandations suivantes :
– En guide de conclusions :
● la sauvegarde par tous les moyens du RHDP pour assurer durablement,
– l'unité et les succès électoraux des houphouetistes
– la paix, la stabilité et le développement continu en Côte d'Ivoire
– la promotion des valeurs prônées par le Président Félix Houphouët Boigny
Le statut de Groupement politique RHDP permet de réaliser ces objectifs.
● Le respect de l'identité et de l'autonomie de chacun des Partis membres du RHDP constitue le gage de la cohésion, de la stabilité et de la survie de ce Groupement politique
● La nécessité et l'urgence de la transformation du Groupement politique RHDP en Parti politique unifié RHDP restent à démontrer. D'autant plus qu'il est très probable que le Parti unifié bénéficiaire de la dissolution des Partis membres du RHDP ne survivra pas longtemps aux coups de boutoir du choc des ambitions dans cette grande concentration de dirigeants et cadres aux reflexes partisans (en relation avec leur Parti d'origine)
● La survie du RHDP est engagée aujourd'hui par les contradictions entre les dispositions de la Plate-Forme RHDP de 2005 et l'Appel de Daoukro de 2014. En effet, la remise en cause de l'identité, de l'autonomie et du libre choix des candidatures au premier tour de la présidentielle est nocive pour la cohésion, la stabilité et la survie du RHDP, aucun Parti politique ne pouvant exister durablement sans compétir pour la conquête et l'exercice du Pouvoir d'Etat.
– En guise de recommandations :
j'exhorte le PDCI-RDA à,
● surseoir au projet de fusion dans un Parti unifié RHDP et de s'en tenir au Groupement politique RHDP actuel qui préserve l'identité et l'autonomie des Partis membres. Il importe par contre de concentrer résolument nos efforts sur l'actualisation de la Plate-Forme de 2005 pour la mettre en conformité avec les réalités actuelles.
● mettre fin aux polémiques stériles et sans intérêt pour la grande majorité des Ivoiriens qui font face à des problèmes d'existence au quotidien, sous peine d'engager négativement la crédibilité et l'espoir que constitue aujourd'hui le PDCI-RDA.
● s'inscrire dans l'hypothèse que le PDCI-RDA aura à se soumettre à la primaire à laquelle correspond le premier tour de l'élection présidentielle de 2020 et la gagner, avant d'aborder le deuxième tour avec le soutien de ses alliés, conformément à la Plate-Forme RHDP actualisée.
● arrêter de se laisser distraire pour se concentrer sur l'essentiel, à savoir la conquête du Pouvoir d'Etat en 2020.
Je souhaite, pour finir, longue vie au PDCI-RDA et au Groupement politique RHDP.
Nicolas Kouassi-Akon
Ancien Ministre
Membre du Comité des Sages du PDCI-RDA
