Libération des prisonniers politiques en Côte d'Ivoire : Décryptage du discours du Président Alassane Ouattara par Pr Alfred Babo, sociologue, USA. Amnistie Ouattara décryptage Alfred Babo.
Dans son discours à la nation du 6 août 2018, veille de la célébration des 58 ans d'indépendance de la Côte d'Ivoire, Alassane Ouattara a annoncé une ordonnance d'amnistie qui bénéficie à environ 800 personnes. Cette annonce s'est traduite par la mise en liberté effective de Madame Simone Gbagbo. Avec elle, des centaines d'autres anonymes seront libérés dans les jours à venir.
Il faut se réjouir de ce dénouement heureux. Et les militants du FPI, mais surtout les familles des prisonniers ont des raisons de célébrer des retrouvailles. Au-delà de ces moments d'émotions, nous faisons ici l'analyse du discours du président et de ses implications sur l'avenir de la nation. Trois points essentiels sont à décrypter : le maintien en prison des militaires, la recomposition de la CEI et le transfert du pouvoir à une nouvelle génération.
- Du maintien des militaires ex-FDS en prison
De prime abord, cette mesure est injuste. D'un point de vue moral, elle laisse un goût amer à la célébration de retrouvailles ; même chez ces hommes et femmes politiques qui recouvrent aujourd'hui la liberté. D'un point de vue politique, elle laisse un gout d'inachevé à la célébration de la réconciliation nationale.
Les militaires qui demeurent en prison faisaient leur devoir de défendre non seulement les institutions de la république, mais aussi ces hommes et femmes qui les incarnaient et qui recouvrent aujourd'hui la liberté. Les familles de ses militaires demeurent donc dans la souffrance. Le président justifie cette exception par le fait que ces militaires ont commis des crimes de sang. Si tel est le cas, le président prend là un engagement avec l'histoire.
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En effet, en gardant ces ex-FDS en prison, il prend ainsi l'engagement de faire justice pour tous les crimes de sang commis durant la crise de 2010. Et les populations ivoiriennes, notamment les victimes et ayant droits des victimes de Duékoué, sont en droit d'attendre la même rigueur pour les crimes de sang commis par les FRCI. Or à ce jour, ces militaires FRCI connus et identifiés ne sont traduits devant aucun tribunal national ou international.
Pour tous ceux qui pensent que la libération des prisonniers politiques met donc un terme à la justice des vainqueurs de ces dernières années, l'exception qui frappe les militaires des ex-FDS est plutôt la réduction de l'échelle de cette justice à deux vitesses et non son abandon. C'est pourquoi il faut continuer la lutte afin que soit, ces militaires recouvrent la liberté, soit que les FRCI soupçonnés de crimes de sang rendent, enfin, compte à la justice.
- De la recomposition de la CEI
L'on pourrait se réjouir d'une telle initiative si elle n'avait pas un arrière-goût de coup de poker assené par Dramane Ouattara à son, désormais, rival Bédié. Après l'avoir ignoré royalement, Ouattara fait référence à l'arrêt de la Cour africaine des droits l'homme et des peuples pour instruire son administration à la réforme de la Commission électorale indépendante (CEI).
Au moment où il est dans un désaccord profond avec le PDCI-RDA autour de la question du RHDP. Après l'ivresse de la joie, l'on doit bien comprendre que cette mesure s'inscrit dans la lutte pour le contrôle de cette institution par le parti au pouvoir RDR dans la perspective de la présidentielle de 2020.
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Encore faut-il le rappeler, la CEI actuelle est dirigée par un cadre du PDCI-RDA, en la personne de Youssouf Bakayoko. L'injonction de la réforme, même si elle se pare d'une forme de victoire de l'opposition qui la réclame depuis des années, elle sert d'instrument en réalité au RDR pour dessaisir le PDCI-RDA de la tête de l'institution et en prendre le contrôle. C'est un secret de polichinelle que de dire que le divorce est entamé en le RDR et PDCI-RDA. Nul ne doit être dupe.
C'est pourquoi l'opposition et la société civile ivoirienne, notamment l'APDH dont l'action inédite et courageuse a conduit à une telle mesure, ne doivent pas célébrer à l'aveuglette. Elles doivent rester vigilantes afin que le principe de « l'indépendance » qui a poussé à ester en justice soit plus que jamais affirmer dans cette réforme. Ainsi, la CEI de demain doit être celle d'une société civile responsable et technique et non celle des partis politiques. Ces derniers, s'ils devraient continuer d'y siéger, ne devraient avoir qu'un rôle d'observateur.
- Du transfert du pouvoir aux jeunes générations
Comme de nombreux Ivoiriens, nous avons été frappés par les déclarations du président, mais aussi par ce qu'il n'a pas dit. Certes, il a, à nouveau, évoqué le désir de céder la place à une nouvelle génération, disons à une nouvelle classe politique. Cependant, ce qu'il n'a pas dit, c'est qu'il ne sera pas candidat en 2020.
Ouattara n'ignore pas que la question de son éventuelle candidature est, à n'en point douter, une pomme de discorde tant au plan institutionnel qu'au plan moral. Elle donnera lieu à des invectives et interprétations juridiques malicieuses de la constitution qui pourraient faire vaciller la nation.
Elle videra définitivement de son contenu le principe de la parole donnée, puisqu'elle prendra le contre-pied de sa profession de foi de la promotion d'une nouvelle génération. Dans l'adresse du président, de nombreux Ivoiriens attendaient que le président mette un terme définitif au doute sur la question de sa candidature. Notamment que Ouattara dise clairement qu'il ne sera pas candidat.
Mais bien évidemment, encore une fois, après l'euphorie de la libération, il faudra faire la lecture selon laquelle, tant que Bédié, et éventuellement Gbagbo, une fois libéré, seront de la course de 2020, le RDR n'aura pas de meilleur cheval de bataille capable de rivaliser avec les deux premiers cités que Ouattara.
Ainsi, au-delà de la libération des prisonniers, entre les lignes du discours de Ouattara, ce qui se profile, c'est bien la bataille de l'élection de 2020. Peut-être que nous assisterons encore, et sans doute à un « remake » de 2010 avec les trois ténors que sont Ouattara, Bédié et Gbagbo. A ce jeu-là, les Ivoiriens qui attendent un renouvellement de la classe politique ivoirienne devront encore patienter !
Pr. Alfred Babo, Sociologue, USA
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