Cumul de postes: A quoi servent donc les lois en Côte d’Ivoire ? (Mamadou Koulibaly)

Mamadou Koulibaly, ancien président de l'Assemblée nationale de Côte d'Ivoire © Crédit Photo DR
Mamadou Koulibaly, ancien président de l'Assemblée nationale de Côte d'Ivoire © Crédit Photo DR

« Cumul de postes: A quoi servent donc les lois en Côte d'Ivoire ? » Une analyse de Mamadou Koulibal, ex-PAN ivoirien.

L'article 73 du Code électoral ivoirien interdit formellement le cumul du mandat de député avec un certain nombre de fonctions. À cet effet, II identifie les charges suivantes : les membres du Conseil constitutionnel, des juridictions suprêmes, et du Corps préfectoral, les magistrats, les comptables publics, les présidents et directeurs d'établissements ou d'entreprises à participation financière publique, les fonctionnaires(*), et les militaires et assimilés. En somme, cet article consacre au cœur de la loi électorale, le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs législatif, Judiciaire et exécutif. Ses dispositions ont été, par la suite, élargies aux dirigeants d'entreprises privées bénéficiant de subventions ou de commandes publiques importantes ou étant sous le contrôle de l'État.

La raison de ces restrictions par la loi est très simple. Pour Illustrer : Un fonctionnaire se trouverait normalement face à un impossible conflit d'intérêts d'être, dans le même temps, un employé de l'État (l'exécutif) et un député de la nation (législatif) puisque l'un des rôles du législateur est de contrôler les activités du gouvernement et d'évaluer les politiques publiques. L'incompatibilité de ces deux fonctions est donc évidente. La loi va plus loin en faisant obligation au fonctionnaire de présenter, à titre conservatoire, une demande de mise à disponibilité d'égale durée à celle du mandat électif avant la validation de sa candidature. L'incompatibilité n'empêche donc pas a priori l'élection, mais elle impose a posteriori un choix à l'élu. La loi est claire et ne présente aucune ambiguïté.

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Alors pourquoi de nombreux élus ivoiriens cumulent-ils leurs mandats avec des fonctions jugées incompatibles au regard de la loi ? Quelques exemples: Le directeur général du Trésor et de la Comptabilité publique, M. Assahore K. Jacques, est le député de Diabo-Languibonou (Bouaké) ; M. Maïzan Koffi Noël, député de Bondoukou est également le DG du Fonds de garantie automobile ; le directeur général adjoint des Impôts, M. Aboubakari Cissé, est aussi député d'Aboisso ; De même, le directeur de l'Agence Centrale Comptable du Trésor et gestionnaire du compte unique du Trésor, M. Coulibaly Ali Kader ainsi que le DG du Port Autonome d'Abidjan, M. Hien Sié Yacouba sont tous deux députés-maires de Benguè (Poro) et d'Adiaké, respectivement. Notez que toutes ces personnes sont des hauts fonctionnaires disposant de pouvoirs décisionnels certains, étant directement responsables d'importants aspects de la gestion de l'État.

Ces exemples ne sont ni exhaustifs, ni des cas isolés. Un parti, le , détient actuellement le triste record de ces élus en marge de la loi. Comment concevoir que notre Assemblée nationale (AN) dont l'autre rôle est de « faire la loi » soit incapable de faire le ménage chez elle et soit en délicatesse avec les lois qu'elle-même débat, propose, et vote ? L'incurie de l'actuelle législature dans le traitement de ces conflits d'intérêt patents n'est-elle pas une admission implicite de ce qu'elle ne joue pas son rôle en tant qu'institution républicaine ? qu'elle ne servirait en réalité pas à grand-chose si ce n'est que comme chambre d'enregistrement au service d'un exécutif dominant qui la subjugue ?

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Mais en réalité, ces prévarications et autres dévoiements des lois au profit d'un clan, sont symptomatiques de la déliquescence profonde de ce que certains osent encore appeler une démocratie, abus de langage s'il en est. Car il ne peut y avoir de démocratie sans état de droit, sans justice, et sans le respect des lois par les institutions et les hommes et les femmes qui sont censés la représenter et la protéger.

Le délitement de l'ensemble de nos institutions judiciaires, législatives et administratives n'est pas le fait du hasard. Il est le résultat de l'appropriation systématique et outrancière de l'État par M. Ouattara, un homme clairement allergique aux principes démocratiques. Il décide tout seul, des modalités de ce qui est légal et ce qui ne l'est pas ! En bref, Il est LA loi. Ainsi il cumule depuis 2011, les fonctions de président de la République et… de président de son parti ! Cela en violation flagrante de l'article 54 de la constitution d'août 2000, qui interdit cette pratique! Cyniquement, il remplacera en 2016, l'article 54 par un nouvel article 61 qui abroge cette interdiction à la faveur de tripatouillages constitutionnels taillés sur mesure. Car M. Ouattara s'arroge, tel un monarque, tous les droits.

Mais peu importe le maquillage de la Constitution de 2016, Il est inconcevable dans un pays démocratique que le président de la République puisse cumuler quel qu'autre fonction avec sa charge. Le chef d'un parti, une fois élu à la tête de la nation, doit nécessairement renoncer à exercer quelque fonction au sein de son parti (à fortiori celui de président ) pour devenir le président de tous, même de ceux qui n'ont pas voté pour lui. Il se place ainsi au-dessus de la mêlée, complétant par ce fait sa mue en homme d'État. Mais M. Ouattara semble imperméable à toute forme de sublimation de ses ambitions personnelles et politiques. A contrario, Il préfère les abus de pouvoir, les passages en force, et le clanisme comme modes de gouvernement.

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En effet, que dire de ces fréquents détournements de fonds si énormes et scandaleux, dont les auteurs continuent de jouir en toute impunité de leurs forfaits parce qu'ils sont du clan? Ceci à la barbe des Ivoiriens dont près de 40% tirent le diable par la queue. Dans le même temps, M. Ouattara a placé toute opposition ou velléité de contradiction sous son implacable éteignoir. Il instrumentalise la justice, qui détourne le regard des forfaitures du clan mais jette en prison, pousse à l'exil ou harcèle d'autres pour délit d'opinion ou pour avoir simplement exercé leur droit constitutionnel de manifester. Quant à l'emblématique 3e mandat illégal que nous avons aborder dans d'autres articles, il ne fait que souligner notre propos.

Comme le dit l'adage populaire « Le poisson pourrit toujours par la tête ». Ne vous étonnez donc pas si tout le pays fonctionne à l'image du « Grand Homme », dans le mépris total des lois, des règles, des normes, des codes (de la route, de la construction etc…), de la civilité et de toute disposition conçue pour réguler la société. Là où la loi du plus fort prévaut et où les dépositaires du pouvoir sont plus absorbés par leur affairisme que par la défense de la veuve et de l'orphelin, le citoyen et la société souffrent, exposés aux abus et à l'arbitraire de leur État. À plus de 81 ans et avec la présidence à vie en perspective, il est bien trop tard pour réformer M. Ouattara comme tous ceux qui lui ressemblent.

Alors ? Et vous ? Que comptez-vous faire ? Continuer de subir ou prendre votre destin en main et vous impliquer ? Là est la vraie (et peut être la seule) question.

Le TTMK

Written by Mamadou Koulibaly

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