La Côte d’Ivoire est-elle le pays le plus riche d’Afrique de l’Ouest ? Mamadou Koulibaly se prononce

Mamadou Koulibaly, ancien président de l'Assemblée nationale de Côte d'Ivoire © Crédit Photo DR
Mamadou Koulibaly, ancien président de l'Assemblée nationale de Côte d'Ivoire © Crédit Photo DR

La Côte d'Ivoire est-elle le pays le plus riche d'Afrique de l'Ouest ? Une analyse de Mamadou Koulibaly, homme politique et économiste ivoirien.

C'est ce que tentait de nous faire croire un certain ILYES ZOUARI dans un article(*1) publié le 11 février 2022 dans la revue française Stratégies. M. ZOUARI est le président du Centre d'étude et de réflexion sur le Monde francophone (CERMF) et son article aurait sans doute été condamné à l'anonymat sous les latitudes ivoiriennes si des RDR inconditionnels n'eussent décidé de l'utiliser au début de cette année, pour attribuer des bons points, plus que contestables, à leur mythique « bravotché ».

L'auteur note en effet que « Selon la Banque mondiale, la Côte d'Ivoire affichait un PIB par habitant de 2 579(*2) dollars début 2022, devançant ainsi le Ghana et le Nigeria dont la richesse par habitant s'établissait à 2 445 dollars et 2 085 dollars, respectivement. En creusant l'écart par rapport à l'année précédente, la Côte d'Ivoire consolide sa position de pays le plus riche d'Afrique de l'Ouest, hors Cap-Vert. » Plus loin, il s'émerveille de cette « grande » performance économique de la CI, mesurée par son produit intérieur brut par habitant (PIB/habitant)(*3) parce que « les richesses naturelles non renouvelables (de la CI, ndlr) sont très modestes en comparaison avec celles du Ghana et du Nigeria ».

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Mais il y a plusieurs failles et biais dans l' analyse d'ILYES ZOUARI, que nous abordons tour à tour:

-Le choix de l'échantillon pour la comparaison (le Ghana et le Nigeria) qui l'amène à conclure que la performance de la CI relève quasiment de l'exploit, est loin d'être neutre. En effet, il aurait été approprié d'inclure aussi le Cap Vert dans la comparaison. A priori, il n'y a aucune raison qui le disqualifierait d'inclusion dans l'échantillon. Rappelons que le Cap vert (CV) est un tout petit archipel très aride, d'environ 600 mille habitants, situé à l'extrême Ouest du continent. Le pays est membre à part entière de la CEDEAO au même titre que les 3 autres et ne dispose d'aucune ressource naturelle (pas de pétrole, ni de gaz, ni d'or etc.). Notons donc que non seulement le CV est encore moins bien doté que la CI (qui a tout de même de quelques ressources pétrolières et gazières et de l'or), mais que son territoire compte à peine 10% de terres arables, c'est-à-dire propres à l'agriculture.

Malgré cela, le CV avait un PIB/habitant de $3.293 (soit environ 1.976.000 FCFA) en 2021 contre $2.549(*4) (1.529.000 FCFA) pour la CI pour la même période. Cet écart représente environ 447.000 FCFA de plus par personne, par an. In fine, le Cap Vert est plus « riche », selon I. ZOUARI, que la CI, le Ghana et le goliath Nigérian. Alors pourquoi, diantre, l'avoir arbitrairement exclu? Maintenant que nous avons levé l'équivoque sur « le pays le plus riche d'Afrique de l'Ouest », Il parait beaucoup plus utile de chercher à comprendre pourquoi ce tout petit pays sans aucune ressource naturelle, a réussi la performance remarquable depuis des décennies de tenir la dragée haute à tous les pays ouest africains, sans exception. Mais nous reviendrons un peu plus tard sur ce point.

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– Ensuite le choix du PIB/par habitant comme l'unique indicateur, le graal, pose lui aussi problème. La croissance du PIB ou le PIB/habitant sont-ils des indicateurs infaillibles de la richesse d'une nation ? La réponse est sans ambiguïté, non ! En effet, les économistes s'accordent sur le fait que la croissance du PIB n'est pas, loin de là, un indicateur du bien-être accru des populations, ni même de prospérité, tout court. Pour ces raisons les économistes ne se contentent pas du seul PIB comme indicateur du niveau de développement ou de prospérité des pays, même si sa croissance en est une condition nécessaire. Ils cherchent plutôt à comprendre comment ce PIB est réparti dans le pays en évaluant des indicateurs essentiels comme le pourcentage de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté dans le pays, le taux d'alphabétisation, l'espérance de vie à la naissance, l'accès à un système éducatif et des services de santé de qualité; bref, ils cherchent à évaluer la qualité du capital humain pour une raison simple: Il y a une très forte corrélation entre le niveau de revenu national et l' indice de capital humain (IDH)(*5). Les pays qui ont un IDH élevé sont aussi les plus riches et les plus prospères. Et vice versa. Ainsi, un capital humain de qualité soutenu par un capital intangible solide sont des facteurs absolument déterminants dans l'accélération et la pérennisation de la croissance du PIB sur la longue durée. Tout part de ces piliers fondateurs et structurels. Le reste, c'est de la gestion conjoncturelle.

Comme l'a déjà constaté MK à maintes reprises, le PIB ivoirien est « un PIB qui augmente sans effet positif sur les populations ». Une majorité d'ivoiriens l'a depuis longtemps compris et débusqué l'escroquerie, faisant le constat que cette croissance, dont on les bassine depuis plus de 10 ans, leur a très peu profitée, puisqu'elle n'a ni amélioré leur vie, ni créer des emplois, ni accru leur revenu, ou ouvert des opportunités d'affaire ou de formation etc.

Mais, revenons à notre échantillon tel que redéfini pour voir comment la CI s'en sort du point de vue de ses capitaux humain et intangible par rapport à son principal compétiteur, le Cap Vert. Nous nous tiendrons à cette seule comparaison ici, car lorsqu'on aspire à devenir un pays « émergent »(*6) comme c'est le cas de la CI, il parait beaucoup plus pertinent de se comparer à mieux que soi pour émuler et progresser, plutôt que de regarder vers le groupe des retardataires(*7). Notre intention dans cette comparaison, n'est certainement pas de démontrer que le Cap Vert est le paradis sur terre. En effet, ce pays reste relativement pauvre (même s'il l'est moins que la CI) et fait lui aussi face à de grands défis compte tenu de ses caractéristiques géographiques, son éloignement, sa petite taille, la forte émigration de sa population et le manque de diversification de son économie. Le point que nous essayons plutôt de faire c'est qu'en dépit de toutes ces contraintes, les résultats du CV montrent qu'il a investi plus judicieusement et plus efficacement, en particulier dans sa population rurale, ses ressources que la CI.

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Sur le plan du capital intangible, le CV est de l'avis général un modèle de démocratie avec des institutions fortes, un pays d'une grande stabilité politique depuis son indépendance en 1975. Le CV a organisé plusieurs alternances politiques pacifiques au terme d'élections. Entre octobre 2020 et octobre 2021, le pays a mené 3 élections successives sans violence ni contestation dont les résultats ont été complètement gérés électroniquement. Pas de tripatouillage des listes électorales, ni de coup d'état ou de 3e mandat inconstitutionnel. Pas non plus besoin de dessin pour voir les contrastes frappants avec la CI dont les élections sont toujours une opportunité pour les pseudos « leaders » politiques d'instrumentaliser leurs supporters.

Sur le plan du capital humain, l'IDH le plus récent classe le Cap vert au 128e rang mondial sur 191, soit 21 places au-dessus de la CI (159e). De plus, alors que le cap verdien peut espérer en moyenne vivre jusqu'à l'âge de 75 ans, l'ivoirien moyen doit se contenter de seulement 58 ans. Plus notable encore, le taux d'alphabétisation de la population adulte (les plus de 15 ans) et des 15 à 24 ans est de 88% et 98% respectivement au CV. En CI, ces taux étaient de seulement 48.5% et 53% respectivement. En termes de qualité de l'éducation ivoirienne, la Banque Mondiale note que « la qualité de l'enseignement s'est dégradée. À la fin du cycle primaire, moins de la moitié des élèves ivoiriens possèdent les compétences requises en lecture ou en mathématiques (*8)». II faut dire que nos résultats sont franchement catastrophiques sur les compétences de base comme la lecture et le calcul. Ainsi les écoliers ivoiriens en fin de cycle de CM2 se classaient en 2014 derrière les jeunes burundais, Burkinabès et Béninois lors de tests de compétences(*9) alors qu'ils sont issus de pays beaucoup plus pauvres en niveau de PIB que nous ! (*10)

Le FMI quant à lui, s'alarme : « la Côte d'Ivoire doit urgemment améliorer son capital et ses ressources humaines car ses résultats dans le domaine de l'éducation et de la santé sont systématiquement et significativement en deçà de ceux des pays qu'elle aspire à émuler (et même des moyennes sub-sahariennes, ndlr). Sans des efforts concertés pour combler ces gaps au plus tôt, le capital humain restera une contrainte majeure pour la croissance »(*11).

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Le choix du gouvernement actuel depuis plus de 10 ans, de tout miser sur des infrastructures routières, immanquablement de mauvaise qualité, souvent de prestige (comme un aéroport à Kong ou encore l'aménagement d'un port de plaisance) sans pertinence pour notre économie, nous conduit droit dans le mur.

Le tapage incessant autour des taux de croissances mirobolants n'est que de la poudre aux yeux pour cacher l'échec patent de politiques menées en dépit du bon sens et de nos intérêts vitaux. Nous vous invitons à faire preuve de circonspection et à ne pas vous laisser enfumer par la propagande qui cherche à tromper. Le développement, la prospérité sont avant tout des questions d'hommes et de femmes. C'est là, et pas l'embellissement d'Assinie, que se jouent les enjeux du future des ivoiriens.

Le TTMK

Written by Mamadou Koulibaly

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