Max Gradel, le sphinx

Dans sa carrière, Max Gradel connaît des hauts, mais aussi de sérieux bas, qui l'ont marqué. Vincent Toh Bi Irié raconte.

A Selmer Yopougon, tout le monde connaît Privat, une personne à mobilité réduite qui déambule dans le quartier. C'est un handicapé qui se déplace en fauteuil roulant de fortune et ancien modèle. A force d'effort pour faire avancer son engin roulant, il a fini par développer une large poitrine d'athlète.

Mais tout le monde à Selmer se rappelle également la petite silhouette de ce garçon tout menu de 8 ans qui poussait régulièrement le fauteuil roulant de Privat. Cette petite silhouette, c'est celle de . Privat n'est ni son frère ni son parent. Il ne pousse pas le fauteuil par gentillesse ni par philanthropie.

Max Gradel aide Privat à se déplacer et Privat le paie en retour. C'est donc un business pour Max.

En raison de sa mobilité réduite et avec tous les préjugés autour des handicapés, Privat ne peut pas travailler. Il est donc réduit à mendier toute la journée.

L'itinéraire était le même. Privat et Max, le pousseur, allaient devant les Mosquées, puis devant les sièges de certaines associations caritatives, puis ils longeaient les rues les plus bondées de Yopougon où Privat avait des « clients », de généreux donateurs. A tous ces endroits, Privat recevait de la charité et de l'argent.

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A la fin de la journée, il « payait » Max Gradel à hauteur de 50 frs CFA. Quand la recette de la mendicité était bonne, le « salaire » de Max pouvait monter jusqu'à 100 frs CFA. Privat savait être généreux.

Mais l'autre raison pour laquelle Max Gradel était scotché à Privat, c'était le football. Non, Privat n'était pas passionné de foot, il n'était pas un entraineur pour enfants. Privat récompensait souvent Max en payant ses frais de participation aux compétitions de football de quartier appelées « Comités ». Privat donnait à Max Gradel la bagatelle de 300 frs CFA pour son inscription aux « Comités ».

Privat savait qu'il faisait un investissement utile, car Max était tellement doué en football qu'on l'appelait « le pourri » (cela veut dire dans le langage ivoirien « trop fort en football »). Max remportait toutes les compétitions avec les équipes qui le recrutaient.

Le football est son unique passion. Il fait l'école buissonnière et n'est guère intéressé par les études. Son père n'apprécie pas et le bat chaque fois qu'il apprend que son fils n'est pas allé à l'école ou qu'il a participé à un « comité ».

La vie sous le toit familial n'est pas facile.

Max Gradel naît en 1987 à Marcory. Il grandit à Abobo Avocatier, puis à la Cité Policière d'Abobo jusqu'à l'âge de 5 ans. Son Père est Policier.

A l'âge de 5 ans, Max emménage avec sa famille à Yopougon Selmer. Ils habitent dans un immeuble, en face du Groupe Scolaire St Xavier. C'est une petite maison, avec une famille nombreuse de 10 enfants.

La mère de Max se « débrouille » dans la vie. Elle est tresseuse au marché d'Adjamé.

Quand il a 6 ans, sa mère part s'installer en France.

Les enfants sont livrés à un petit libertinage, qui permet à Max d'échapper à la vigilance de son père qui ne rentre que le soir. Il fait exploser son talent de star des « comités » et de pousseur de Privat.

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Revenons à Privat, qui avait une relation souvent tumultueuse avec le petit Max pas toujours sage ni soumis. Max pouvait souvent narguer Privat, le provoquer, puis courir pour se mettre à une distance respectable, sachant que les jambes handicapées de Privat ne pouvaient pas courir. Privat faisait semblant d'oublier, appelait Max le jour suivant pour une course payée comme toujours. Les enfants savent courir mais ils ne savent pas se cacher. Oubliant l'offense de la veille, Max se précipitait sur la poussette pour avoir les 50 frs de recettes du jour. C'est alors que Privat le récupérait dans ses immenses bras, le coinçait et lui administrait une correction en règle. En pleurs et sans rancune, Max restait quand même pour pousser Privat.

Rater 50 frs la journée à cause des claques de Privat n'était pas sage. Donc le claqueur et le claqué, chacun boudant de son côté, mais partageant le même intérêt financier, reprenaient leur itinéraire de tous les jours.

A 9 ans, Max suit sa famille dans un nouveau déménagement à Niangon Sud à droite. Le quartier est encore broussailleux et la lagune est à proximité. Max se découvre avec sa sœur Deborah de nouveaux jeux dangereux à nager dans ces eaux insalubres et boueuses, où sont décédés de nombreux enfants.

Ecole buissonnière, jeux dangereux, libertinage, « comités », les nouvelles qui parviennent à la mère désormais installée en France ne sont pas rassurantes. En 1998, elle revient chercher ses enfants.

Partir en France, le rêve de tout jeune passionné par le football. Max est heureux. C'est la première fois qu'il prend l'avion. Il est tellement apeuré qu'il refuse de manger dans l'avion. A l'arrivée, il faut prendre de nombreux escalators avant d'arriver à l'Immigration. La souffrance de Max n'est pas terminée. A chaque montée ou descente d'escalator, il s'agrippe aux jambes de sa mère.

Mais le plus dur arrive quand ils atteignent le desk de l'Immigration. Le Policier informe la mère que les enfants ne sont pas qualifiés pour rentrer en France. Ils doivent être rapatriés. La mère pique une folie. Il s'en suit un grand tohu-bohu. Ils font assoeir la famille dans une salle et procèdent à des contrôles d'identité supplémentaires. Au bout de quelques minutes, le verdict tombe : ils peuvent rentrer en France.

La mère est installée à Paris, dans le 18ème arrondissement. Les deux enfants retrouvent leur sœur cadette Patricia, qui était déjà venue au tout premier voyage avec leur mère.

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Max est éberlué par cette nouvelle vie. Il y a la télé à la maison et même…un réfrigérateur. Dans le réfrigérateur, il découvre pour la première fois des jus de fruits à boire à volonté. Il n'a jamais vu cela à Abobo Avocatier, à Selmer ou à Niangon Sud à Droite.

Cette seule impression d'avoir une vie de luxe différente de la vie d'Abidjan assagit Max.

Il est inscrit au Collège. Là encore, ses talents de footballeur le font remarquer. Sa mère vit en France. Elle sait ce que cela veut dire comme opportunité. Elle l'inscrit au Club pour enfants, Champions-Nés Sport, dans le 18ème Arrondissement. Elle lui achète des équipements complets de sport.

Max se fait une nouvelle bande d'amis sportifs. A cet âge, on a l'esprit fragile et influençable. Max remarque que ses amis ont des équipements sportifs de marque. Il les envie. Il veut avoir ces marques.

Ses amis lui filent le secret. Ils ont un réseau de vol de portables qu'ils revendent pour acheter des chaussures de marques.

Max est recruté pour sa première opération de voleur de portable. Mais l'opération se passe mal. Tout le monde réussit à fuir sauf le nouveau voleur, qui est pris par la Police et mis au violon. On appelle la mère de Max, qui accourt au Commissariat. Elle n'en croit pas ses yeux. Les Policiers, compréhensifs de la détresse de la mère de ce voleur amateur, le libère. Mais la mère de Max, déçue, pleure toute la nuit.

Max est tellement bouleversé de voir sa mère en larmes qu'il prend l'engagement d'être toujours correct dans la vie. Il change de groupe d'amis. Il rejoint un groupe d'Ivoiriens.

Les samedis, ils vont aux soirées ivoiriennes zouglou, à la salle LSA à St Denis. Les artistes en vogue sont alors Espoir 2000, Les Garagistes, Yodé et Siro, Douk Saga, Ben Chico, Ziké, Arafat, etc. Comme Max ne boit pas et ne fume pas, sa mère ne s'inquiète pas de ses sorties.

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Max a un seul objectif : le football professionnel. Mais ses amis et lui n'arrivent pas à trouver de clubs professionnels. Presque tous ses amis abandonnent. Max croit encore en ses chances.

Un jour, il obtient un essai dans un grand Club de Paris, mais il se trompe de ligne de train et se retrouve dans une autre partie de la Capitale au lieu du terrain où il est attendu.

Une autre fois encore, il a un essai dans le Club de Guiguamp. Il y va à 5 heures du matin. Dans le train, il est tellement stressé qu'il a oublié de se pommader et a le visage tout blanc. Un Français assis à côté lui offre une pommade pour paraître un peu bien.

Après le test, Max est confiant, mais on lui annonce qu'il n'est pas retenu. Avec son ami Portugais Yves Carvalho, ils font encore plusieurs tests, notamment au FC Nantes, Auxerre, PSG. Aucun succès.

Entre-temps, la mère de Max est victime d'un AVC. Elle a tout le côté droit paralysé. Max arrête les entraînements et les recherches de Club pour se consacrer entièrement à sa mère. Lui-même est affecté par la maladie de sa mère, son seul soutien. Il s'enferme à la maison, quand sa mère revient de l'hôpital après plusieurs mois. Mais elle n'est pas encore rétablie. C'est Max qui fait la cuisine, l'envoie à ses rendez-vous à l'hôpital, fait les courses de la maison.

La sœur de Max, Estelle, qui est installée en Angleterre depuis des années, lui demande de venir tenter sa chance dans ce pays. Max refuse. Il vit désormais seul avec sa mère. Il ne peut pas l'abandonner seule. Il reste avec elle encore plusieurs mois. Mais au bout de quelque temps, sa mère l'oblige à aller s'offrir d'autres opportunités en Angleterre.

Il arrive en Angleterre à 14 ans , il prend de l'âge et l'espoir d'évoluer dans un club professionnel s'éloigne. Il s'inscrit au Lewisham College. Naturellement, il devient la star du Club de football de l'Ecole.

Mais sa vie sociale à Londres est rude. Il craque souvent, surtout avec sa mère seule en France et pas bien portante.

Un jour, l'équipe de l'Ecole part en tournoi en Hollande. Max en ressort meilleur buteur. A son retour en Angleterre, un Congolais, Michael Magloire, le présente à un recruteur à Westham, du nom de Paul Senior.

Lorsque Paul voit Max, il lui dit : « quand je vois tes petits pieds, je sens que tu es un grand joueur, je te recrute ».

Max est alors recruté pour un essai dans l'équipe Jeunes de Westham pour un essai de plusieurs mois. Il n'a pas d'agent et il fait tous ses contrats seuls.

Pendant l'essai à Westham, le célèbre entraîneur d'Arsenal, Arsène Wenger du mythique club Arsenal, le repère. Il lui demande de prendre un contrat dans l'équipe Jeune de Arsenal. Max saute sur l'opportunité. Arsenal est alors l'une des équipes les plus cotées du monde. C'est l'époque des Thierry Henry, Kolo Touré, Viera, Fabregas et Emmanuel Eboué avec qui il sympathise.

Max reste à Arsenal et joue les matches amicaux. C'est alors que Leicester City le repère. Il quitte alors Arsenal où il est encore stagiaire pour Leicester qui lui offre un contrat professionnel à 16 ans et demi. Il joue en équipe réserve.

Après un an à Leicester, il signe dans un club de 3ème Division, appelé Bournemounth.

Là-bas, il joue en équipe sénior. A la troisième année, il totalise 11 buts marqués dans les compétitions.

Leicester le rappelle et remonte en 2ème Division. Par la suite, Max Gradel pose ses valises dans l'équipe de Leeds United, au Nord de l'Angleterre, pour 2 ans et demi. L'équipe est en 2ème Division, ce qui en Angleterre est une grande opportunité.

A Leeds, il devient meilleur joueur et meilleur buteur en 2011 avec 17 buts marqués.

Entre-temps, Dortmund et PSG lui font des propositions. Il est intéressé par le PSG, qui est un club mythique. Mais en pleine tractation, le Club est racheté et les personnes avec il est en contact changent de rôle. Il signe donc à St Etienne, en France, la même année 2011.

En pleine ascension, Max se casse le genou en 2012 lors d'un rassemblement de la sélection nationale de Côte d'Ivoire à Abidjan. Il est déclaré en incapacité.

Pendant 7 mois, il ne s'entraine plus. Il est seul face à lui-même. Sa foi est à l'épreuve.

Max ne perd pas espoir. Il suit sa rééducation et revient à St Etienne à son top niveau et fait les beaux jours du Club.

Deux ans plus tard, il est sélectionné avec les Eléphants pour la Coupe du Monde au Brésil en 2014. C'est le rêve de tout footballeur. En 2015, il remporte la Coupe d'Afrique avec les Eléphants. La compétition de cette année-là permet de le découvrir davantage. Il fait des passes décisives et on le surnomme « Le tueur des Lions », en référence à son but contre le Cameroun. La Côte d'Ivoire bat le Cameroun 1-0.

Après la Victoire à la CAN, Max Gradel signe à Portsmouth. Retour en Angleterre. En 2016, il se fait une entorse au genou (ligaments croisés) et est encore mis en incapacité pour 8 mois. Sa ténacité lui permet de remonter la pente et il retrouve la pelouse avec Portsmouth.

Après la saison à Portsmouth, il signe à Toulouse pour 3 ans, avant de rejoindre l'équipe de Sivass Sport en Turquie où il est en ce moment et avec laquelle il remporte la Coupe de Turquie en 2022.

Dans sa carrière, Max connaît des hauts, mais aussi de sérieux bas, qui l'ont marqué.

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En 2013, il revient de blessure et participe avec St Etienne au derby Lyon-St Etienne. Il est sur le banc de touche. Le score est de 1-1. On fait rentrer Max, il perd la balle dans une fausse manœuvre, elle est récupérée par un attaquant adverse qui marque et Lyon l'emporte 2-1. Il est hué par les supporters de St Etienne, boudé par les Présidents de Clubs et écarté par l'entraîneur.

Max travaille pour essuyer cette humiliation. Le match retour a lieu dans 4 mois. Pendant 4 mois, il s'entraîne dur. Au match retour, un ami convainc l'entraineur de le sélectionner. Il est sur les bancs de touche. A 20 Minutes de la fin du match, le score est de 1-1. Le coach décide de faire rentrer Max, qui marque. Le match finit à 2-1. Max passe d'ennemi public à super héros. Le coach, Christophe Galtier (actuel entraineur de Paris St Germain) s'excuse alors publiquement pour la bouderie des 4 mois passés.

Les déceptions sont aussi venues de sa première CAN en 2012 en finale contre la Zambie perdue par la Côte d'Ivoire, la défaite contre la Grèce à la Coupe du Monde au Brésil en 2014, la défaite de la Côte d'Ivoire en Egypte en quarts de finale contre l'Algérie en 2019.

La vie d'un sportif, fut-il grand, est loin d'être un long fleuve tranquille.

Jeunes, Max Gradel vous dit : relevez-vous chaque fois que vous tombez.

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