« Ouattara, l'éternel trahi… » : une analyse politique du journaliste camerounais Saïd Penda relative aux relations entre Ouattara, Soro, Bédié et Gbagbo.
La carrière politique d'Alassane Ouattara est jalonnée de trahisons de la quasi-totalité de ceux avec qui il a été en alliance. Quand Henri Konan Bédié arrive au pouvoir et attise les tensions avec sa politique dite de « l'ivoirité », qui exclut les ressortissants du nord de la Côte d'Ivoire, Alassane Ouattara s'allie à Laurent Gbagbo. Le RDR d'Alassane Ouattara et le FPI (Front Populaire Ivoirien) du futur criminel de guerre créé le « Front Républicain ». Un témoin de cette période, ancien du parti de Laurent Gbagbo, que j'ai rencontré explique qu'à cette période le président Ouattara – reconnu pour sa légendaire générosité – paie jusqu'aux soins de santé de Gbagbo et ses enfants.
Sans compter que c'est M. Ouattara qui prend en charge toutes les missions et activités politiques des deux partis alliés. Alors que le xénophobe et tribaliste Bédié mène une cabale anti-Ouattara à qui on dénie sa nationalité ivoirienne, c'est l'époque où le roublard Gbagbo ne jurait que par Alassane Ouattara et clamait urbi et orbi : « aucun homme politique n'est plus ivoirien que Ouattara dont la généalogie et la filiation sont parfaitement traçables ».
Mais arrivé au pouvoir, Gbagbo déchire le « Pacte Républicain » qui le lie à M. Ouattara. Là où Bédié s'était limité à des brimades administratives et à de la violence verbale, Gbagbo monte d'un palier en injectant de la violence physique dans la politique anti-Ouattariste. Il ira jusqu'à attenter à la vie d'Alassane Ouattara, contraint à un exil qui durera quelques années.
C'est la première fois que le président Ouattara est trahi, mais ce ne sera pas la dernière.
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L'intermède Guei
Le général Robert Gueï arrive au pouvoir à la faveur d'un coup d'État préparé et exécuté par de jeunes militaires originaires du nord de la Côte d'Ivoire. Outre leur exigence de rétablissement de la citoyenneté des ressortissants du septentrion, ils souhaitent surtout qu'Alassane Ouattara qui symbolise toutes les brimades dont étaient la cible les populations de la tribu dioula, soit autorisé à participer à la prochaine présidentielle. Le général Gueï ne respectera pas la voie tracée par les jeunes soldats qui l'avaient installé au pouvoir. Ouattara sera exclu de la présidentielle de 2000.
L'Alliance avec Bédié
L'alliance avec Bédié était présentée comme un des pactes politiques les plus solides après celui qui lie l'ANC au parti communiste sud-africain depuis les années d'apartheid. Au plus fort de l'entente entre les deux hommes, contre toutes les règles du protocole, c'est toujours le président Ouattara qui allait à la rencontre de Bédié, à sa résidence d'ancien chef d'État. Rien ne se faisait en Côte d'Ivoire sans l'accord de Bédié qui était consulté sur toutes les grandes décisions. L'allié du président Ouattara est une sorte de co-président de la République de facto, officieusement qualifié de PCA (Président du Conseil d'Administration) du pays par certains.
Il effectue ses nombreux voyages privés à l'étranger en avion présidentiel, et quand il se rend dans son village à Daoukro, c'est l'hélicoptère de la présidence de la République qui l'y dépose.
Fait inédit en Afrique, un président de la République baptise un ouvrage de standing du nom d'un de ses prédécesseurs vivant. Le plus beau pont d'Afrique francophone, au cœur d'Abidjan, est nommé « Pont Henri Konan Bédié ». Le jour de l'inauguration de ce pont, émerveillé et séduit, Henri Konan Bédié déclare que ce pont à lui seul mérite qu'on accordât un troisième au président Ouattara.
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Mais les choses vont changer quand Henri Konan Bédié décide qu'il devrait revenir au pouvoir. Contre l'accord qui les lie, stipulant que tous les partis dans l'alliance allait se fondre dans un seul parti (RHDP), dans lequel sera désigné le candidat pour la présidentielle de 2020, Bédié veut imposer au président Ouattara et à son parti de renoncer à présenter un candidat et de soutenir sa candidature dès le 1er tour de la prochaine présidentielle. Devant le refus du président ivoirien, Bédié rompt l'alliance et se dédie de façon éhontée. Tout ce qu'il vantait est désormais noirci, le président Ouattara qui lui aura tout donné est voué aux gémonies. Une fois de plus, Alassane Ouattara est trahi par quelqu'un en qui il avait une confiance sans limite.
Soro ou l'ultime trahison
Guillaume Soro confirme parfaitement le proverbe mandingue qui veut que « lorsque vous faites de votre fils le commandant, vous serez le premier à qui il demandera de s'acquitter de l'impôt ». Si les jeunes militaires qui ont lancé la rébellion ivoirienne en octobre ont fait appel au jeune chômeur totalement fauché qu'il était alors, c'est parce que Soro est présenté comme un des « petits » de celui que tous les ressortissants du nord reconnaissent comme le porte étendard de leur revendication : Alassane Ouattara.
Lorqu'Alassane Ouattara arrive au pouvoir, alors que rien ne l'y obligeait et contre l'avis unanime de ses proches, il nomme Guillaume Soro premier ministre et ministre de la défense. Il en fera ensuite le président de l'Assemblée Nationale. Comme Bédié, Soro est consulté sur tous les grands dossiers de la République. Malgré qu'il soit membre du parti présidentiel, il bénéficie de l'exceptionnel privilège de pouvoir proposer ses proches pour les postes de ministres, ambassadeurs et à d'autres prestigieuses fonctions publiques.
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C'est l'époque où on comptait des ministres, DG et ambassadeurs « nommés » par Soro. Mais quand il découvre qu'il est loin dans l'ordre de succession, le jeune loup claque la porte de la famille présidentielle avec fracas. Les dernières informations révèlent qu'il envisageait même d'assassiner Alassane Ouattara, son généreux bienfaiteur. On n'est plus dans le scénario macabre de Compaoré qui élimine son frère et ami Sankara, mais ce serait Compaoré qui abat de sang froid son propre père.
La constance dans toutes ces trahisons dont a été victime le président Ouattara, c'est qu'il en sort toujours vainqueur, ce qui devrait obliger ceux qui nourrissent encore quelques intentions de le trahir à réfléchir plus d'une fois. Et ce n'est pas la triste fin de tous ceux qui ont trahi Ouattara qui pourrait nous contredire. Après plusieurs jours passés dans un bunker, Laurent Gbagbo est cueilli par le commandant Vetcho. On le découvre le regard hagard, épuisé et pathétique de misère.
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Il est aujourd'hui devant la CPI où il pourrait prendre 30 à 50 ans de prison. Avant Gbagbo, le général Gueï connaîtra une dramatique fin. Abattu par un commando sur instructions personnelles de Gbagbo qui l'avait encouragé à exclure Ouattara de la présidentielle de l'an 2000, son corps est jeté dans la rue, comme s'il s'était agi d'un vulgaire truand ayant subi la sentence d'une foule déterminée à lui appliquer la justice populaire. Quid des autres qui ont trahi Ouattara ? Très sincèrement, je ne souhaite ni à Bédié ou à Soro de connaître le sort de Gbagbo ou de Guéï.
En conclusion, Ouattara est-il un éternel naïf qui n'apprend jamais de ses erreurs ? « Non, m'a répondu quelqu'un qui le pratique depuis plus de 40 ans, plutôt un homme au grand cœur qui a une confiance inébranlable en l'être humain. Il préfère faire confiance quitte à être trahi par la suite, plutôt que d'avoir des a priori sur les gens que le sort met sur son chemin ».