Réconciliation en Côte d’Ivoire: pour Hubert Oulaye, la CPI doit regarder « l’autre camp »

Intégralité de l'adresse de Hubert Oulaye, président du PPA-CI, à l'ouverture de la commémoration de la journée internationale de la CPI le 2 août 2022.

Mme la représentante du Garde des Sceaux, Ministre de la justice

Mme la présidente du CNDH

Mr. le président de l'OIDH

Mr. le chef du Bureau local de la Cpi

Mr. le Directeur adjoint de l'OSF Afrique

𝗠𝗲𝘀𝗱𝗮𝗺𝗲𝘀 𝗲𝘁 𝗺𝗲𝘀𝘀𝗶𝗲𝘂𝗿𝘀,

Le Président Laurent Gbagbo se sent particulièrement honoré par l'invitation de l'Observatoire Ivoirien des Droits de l'Homme (OIDH) à prendre part à la commémoration de la journée internationale de la Justice pénale internationale. Il vous en remercie sincèrement. C'est au nom de son Parti, le Parti des Peuples Africains- Côte d'Ivoire (PPA-CI) que je fais la présente intervention.

Au cours de cette journée de commémoration, il s'agit pour l'OIDH de faire le bilan après vingt ans d'effort de construction d'un ordre judiciaire criminel international. Et plus particulièrement, pour la Cote d'Ivoire, il s'agira, au cours de cette journée, de porter une réflexion sur la contribution de la CPI à la réconciliation nationale.

Je voudrais profiter de cette tribune pour vous livrer mon sentiment sur les thématiques qui vous réunissent ce jour.

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𝗠𝗲𝘀𝗱𝗮𝗺𝗲𝘀 𝗲𝘁 𝗺𝗲𝘀𝘀𝗶𝗲𝘂𝗿𝘀,

C'est le 3 octobre 2011, que la Chambre préliminaire de la Cpi a autorisé l'ouverture d'une enquête en Côte d'Ivoire. Etaient visés, les crimes commis dans le contexte des violences postélectorales de 2010 et 2011, mais aussi entre le 19 septembre 2002 et le 28 novembre 2010. L'ensemble de la Côte d'Ivoire était concerné, y compris la capitale Abidjan et l'ouest du pays.

En autorisant cette enquête, la Chambre préliminaire de la CPI avait pris bonne note de l'intention de son procureur d'enquêter tant sur les actes des forces dites pro-Gbagbo que sur ceux des forces dites pro-Ouattara. C'est dans ce cadre qu'un mandat d'arrêt a été délivré à l'encontre de madame Simone Gbagbo le 29 février 2012, puis annulé le 19 juillet 2021. Quant au Président Laurent Gbagbo et le ministre Charles Blé Goudé, ils ont été arrêtés, transférés à la Cpi et jugés. Les deux affaires ayant été jointes, le 31 mars 2021, la Chambre d'appel a confirmé la décision d'acquittement du 15 janvier 2019 prononcée par la Chambre de première instance 1.

Par cette dernière décision, la CPI indiquait clairement que le Président Laurent Gbagbo était innocent, qu'il n'était nullement impliqué dans les crimes dont on l'avait accusé à grand cris, et pour lesquels il avait passé plus de huit ans en détention à la Haye et soumis à deux ans de détention conditionnelle à Bruxelles.

Nous pouvons aisément noter à ce stade de notre développement que, jusqu'à ce jour, la Cpi n'a pas encore couvert la période allant du 19 septembre 2002 au 28 novembre 2010, une période marquée par l'agression rebelle contre le pouvoir légal du Président Laurent Gbagbo, qui, dans l'optique de la réconciliation nationale venait pourtant, non seulement d'organiser le Forum national de la réconciliation, mais aussi d'ouvrir son gouvernement à l'ensemble de l'opposition et particulièrement au RDR.

De plus, vous en conviendrez, contrairement aux intentions affichées de son procureur, Ocampo Moreno, la Cpi dans le traitement du Dossier Côte d'Ivoire, ne s'est intéressée à ce jour, 02 août 2022, qu'à un seul camp, celui qu'elle a qualifié de pro-Gbagbo. Elle a laissé de côté, sans donner d'explication pour l'heure, l'autre camp, celui qualifié de pro-Ouattara. Qu'est ce qui peut expliquer cette limitation temporelle de son champ d'investigation ? Surtout pourquoi, pour les mêmes évènements commis sur le même espace et dans la même période, l'enquête est bouclée depuis longtemps dans un camp et pas dans l'autre ?

La criminalité politique en Côte d'Ivoire est-elle seulement le fait de violences post-électorales ? En vérité, non !!!

La première partie du procès, s'est achevée avec la conclusion qu'il fallait à présent rechercher les coupables dans l'autre camp, si l'on veut combler les attentes légitimes des nombreuses victimes de cette guerre déclenchée par les partisans du camp pro-Ouattara, dont la Chambre préliminaire dans sa décision autorisant l'ouverture de l'enquête contre le Président, avait mis en exergue les indices probants, notamment dans les massacres de Duékoué Carrefour. En se limitant pour l'heure au seul camp pro-Gbagbo est-il possible de dire que la CPI, qui n'a pas encore engagé la procédure d'incrimination de l'autre camp, a contribué à la réconciliation en Côte d'Ivoire ? Ce d'autant plus que des prisonniers militaires pro-Gbagbo demeurent à ce jour encore en prison, alors que l'autorité dont ils dépendaient et pour le compte de qui ils étaient en mission a été acquitté par la CPI ?Telle est je pense la problématique à laquelle, réponse devra être apportée au cours des échanges de ce jour. La réflexion qui doit s'engager devra tracer les pistes qui conduiront à une réconciliation vraie et effective des ivoiriens.

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𝗠𝗲𝘀𝗱𝗮𝗺𝗲𝘀 𝗲𝘁 𝗺𝗲𝘀𝘀𝗶𝗲𝘂𝗿𝘀,

L'affaire Gbagbo – Blé Goudé est close, définitivement, avec un verdict que le monde entier connait, à savoir l'acquittement de toutes les charges de crimes contre l'humanité prétendument perpétrés en Côte d'Ivoire en 2010 et 2011. L'acquittement définitif prononcé consacre bien l'innocence des deux accusés. Cette décision a été prononcée alors même que les témoins de la défense n'avaient pas encore été entendus. Ce scénario judiciaire inattendu trouve son explication, selon les juges, dans le fait que les éléments de preuve présentés par le bureau du procureur étaient d'une faiblesse exceptionnelle, que leur authenticité était douteuse, basées plutôt sur des rumeurs anonymes importantes, que le récit de la situation ivoirienne était caricatural, unilatéral et incohérent.

𝗠𝗲𝘀𝗱𝗮𝗺𝗲𝘀 𝗲𝘁 𝗺𝗲𝘀𝘀𝗶𝗲𝘂𝗿𝘀,

En jetant un regard rétrospectif, nous nous rendons compte que l'odyssée judiciaire à la Haye a été long et semé d'embuches. Que de péripéties pour aboutir à un verdict d'acquittement aussi évident. Huit ( ans de détention carcérale, deux (2) ans de liberté conditionnelle. Refus systématique de liberté provisoire !De plus, en dépit de la révocation le 31 mars 2021 par la Chambre d'appel, de toutes les conditions sur la mise en liberté de MM. Gbagbo et Blé Goudé, le ministre Charles Blé Goudé demeure encore loin de son pays à ce jour. Quant au Président Laurent Gbagbo, il a dû se résoudre, face au silence de l'Etat ivoirien, à faire une demande de passeport pour pouvoir rentrer en Côte d'Ivoire, alors que le gouvernement ivoirien qui l'a transféré manu militari à la Haye en 2011, avait l'obligation de le ramener dans les mêmes conditions et dans les délais les plus prompts dès son acquittement. Les choses se sont passées autrement et la CPI a observé un mutisme qui se prolonge. Nous espérons que cette tribune sera une opportunité pour s'interroger sur le mode de fonctionnement de la CPI. Permet-il d'éviter l'incarcération d'innocents et/ou la prolongation de leur séjour en son sein ? Quelle est l'efficacité des décisions de la Cpi si ceux qu'elle acquitte, ne peuvent pas regagner leur pays dans des délais raisonnables ?

𝗠𝗲𝘀𝗱𝗮𝗺𝗲𝘀 𝗲𝘁 𝗺𝗲𝘀𝘀𝗶𝗲𝘂𝗿𝘀,

Avant de clore nos propos sur le bilan de la Cpi en matière de réconciliation en Côte d'Ivoire, vous constaterez avec moi que la Cpi traine des faiblesses évidentes qui gagneraient à être corrigées. En effet la CPI donne aux ivoiriens le sentiment d'être une institution judiciaire au service d'une justice des vainqueurs, qui mène des enquêtes sélectives et qui donne l'impression d'être le bras judiciaire des forces et puissances internationales qui ont provoqué la chute du régime légal du Président Laurent Gbagbo. Pour que la Cpi contribue de manière efficace à la réconciliation nationale en Côte d'Ivoire, il lui faut éviter de faire croire à un camp qu'il est la victime et que l'autre camp serait le coupable. Sous cet angle, les choix temporels d'enquête de la Cpi, ses enquêtes sélectives et surtout leur timing n'ont pas été des plus judicieux. Plus encore, sa décision d'acquittement du « donneur d'ordre » apparaitra comme une symphonie inachevée si elle n'a pas la résonance interne attendue à l'égard des hommes de devoir comme les militaires en service sous le Président Laurent Gbagbo, qui sont toujours incarcérés en dépit de l'acquittement de celui-ci. Mais, nous devons reconnaitre que la Cpi est capable de générer des juges remarquables de droiture, des juges audacieux, à l'image de feu Hans Peter Kaul, madame Van Den Wingaert et aussi de M. Geoffrey Henderson et du juge président Cuno Tarfusser. Ces deux derniers ont développé une conception sublime du droit et de la justice dans leur sentences, en déclarant ceci : « La loi est faite pour être respectée dans toute sa rigueur et non pour servir d'excuse en vue de satisfaire des buts politiques ou même humanitaires. Si nous cessons d'observer ce principe, la CPI deviendra uniquement une « Cour » en vertu de son nom, mais ne sera plus en mesure de rendre justice pour quiconque ». De tels juges peuvent permettre d'entretenir l'espoir d'une justice pénale impartiale au plan international. Puissions-nous ensemble, faire en sorte que cet espoir ne soit pas vain. Car, au regard de ses objectifs, la Cpi est une institution utile à l'humanité et a été conçue pour protéger les plus faibles face aux plus forts, aux détenteurs du pouvoir d'Etat. C'est cela notre attente de la justice pénale internationale et notre espoir pour la réconciliation vraie et effective en Côte d'Ivoire.

Je vous remercie et souhaite plein succès à vos réflexions.

𝗟𝗲 𝗣𝗿𝗼𝗳𝗲𝘀𝘀𝗲𝘂𝗿 𝗢𝗨𝗟𝗔𝗬𝗘 𝗛𝗨𝗕𝗘𝗥𝗧

𝗣𝗿𝗲́𝘀𝗶𝗱𝗲𝗻𝘁 𝗘𝘅𝗲́𝗰𝘂𝘁𝗶𝗳 𝗱𝘂 𝗣𝗣𝗔-𝗖𝗜.

Written by YECLO.com

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