Venance Konan: « notre pays n’a pas d’âme et parce qu’il n’en a pas, un jour il mourra »

« L'âme de ce pays » une analyse de Venance Konan, ex-directeur de Fraternité Matin sur le développement de la Côte d'Ivoire.

Si vous allez au quartier du Plateau à Abidjan, en Côte d'Ivoire, ce quartier qui est le cœur de l'administration et des affaires, vous trouverez le boulevard Angoulvant. Qui est Angoulvant ? Peu d'Ivoiriens le connaissent. Alors faites une petite recherche sur internet et vous saurez que c'est l'homme qui a entrepris la « pacification » de notre pays pour le « civiliser. » La « pacification » signifie tout simplement le massacre des populations qui s'opposaient à leur asservissement. C'est notamment lui qui a massacré les populations Abbey, Baoulé et Bété.

Il avait écrit ceci dans une note circulaire aux administrateurs de cercle, chefs de services, à Bingerville, le 26 novembre 1908: « je désire qu'il n'y ait désormais aucune hésitation sur la ligne politique à suivre. Cette ligne de conduite doit être uniforme pour toute la Colonie. Nous avons deux moyens de les mettre en pratique : ou attendre que notre influence et notre exemple agissent sur les populations qui nous sont confiées ; ou vouloir que la civilisation marche à grands pas, au prix d'une action…J'ai choisi le second procédé. »

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Un forestier colonial du nom de Roger Sargos avait écrit à son sujet : « affairiste forcené, il faisait cyniquement ses propres affaires, en même temps qu'accessoirement, au petit bonheur, celles de sa pauvre colonie ; il lâche bientôt l'administration pour les affaires et même la politique. » Depuis l'indépendance jusqu'à ce jour, l'une des artères les plus prestigieuses de notre capitale économique porte son nom. Sans doute parce que nous sommes très fiers de ce qu'il a fait pour notre pays. Evidemment personne ne se souvient des noms de ceux qui ont mené les résistances en pays Abbey, Baoulé et Bété. On leur en veut peut-être d'avoir voulu retarder notre civilisation, c'est-à-dire l'action de nous civiliser, par le brave Angoulvant. Pratiquement toutes les rues du Plateau portent les noms de ces valeureux Français qui ont tout bravé pour venir nous coloniser et nous civiliser.

Apparemment notre reconnaissance envers eux est éternelle. Tout comme envers Louis Gustave Binger, dont le nom fut donné à la seconde capitale de la colonie de Côte d'Ivoire. Sur sa tombe au cimetière du Montparnasse à Paris, il est écrit : « au gouverneur général Louis-Gustave Binger, explorateur de la Boucle du Niger qui donna la Côte d'Ivoire à la France. » Treichville, l'un des quartiers les plus connus de notre capitale économique, porte pour sa part le nom de Marcel Treich-Laplène, l'un des « créateurs » de notre Côte d'Ivoire.

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Et pendant ce temps, où trouve-t-on les souvenirs de ceux qui se sont battus pour l'indépendance de notre pays, ceux qui l'ont construit ? Le plus illustre d'entre eux, avait eu la bonne idée de baptiser un pont et un stade de son nom lorsqu'il était au pouvoir. Depuis sa mort (l'année prochaine, cela fera trente ans), nous avons juste donné son nom à l'aéroport d'Abidjan et à une université. Point de musée ou de mémorial. Il m'arrive de plus en plus de voir des dessins d'Houphouët-Boigny tellement mal faits que j'ai fini par comprendre que son image commence à s'estomper dans nos esprits et à être rares. Rien non plus sur ses compagnons dont les noms sont en train de tomber dans l'oubli.

Que disent les noms Auguste Denise, Philippe Yacé, Koffi Gadeau, ou Ouezzin Coulibaly à des jeunes Ivoiriens de moins de quarante ans ? Rien sur notre histoire. Aucune trace de cette histoire nulle part. L'emblème de ce pays, qui s'appelle Côte d'Ivoire, est l'éléphant. Cela va de soi, pourrait-on dire. Mais où trouve-t-on encore des éléphants ? Il faut vraiment chercher longtemps. Finalement, ce pays a-t-il une âme ? S'il en avait une , nous ne serions pas en train de passer Houphouët-Boigny et ses compagnons à la trappe de l'histoire, et les éléphants seraient les animaux les mieux protégés de ce pays. La question pour nous Ivoiriens, n'est pas d'aimer ou de ne pas aimer Houphouët-Boigny.

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Comme tout homme politique, il a eu ses adversaires. Comme tout humain, il y a certainement des personnes qui l'ont détesté. Mais il s'agit tout simplement du premier président de notre pays, celui qui a prononcé la déclaration de son indépendance, qui a fait abolir le travail forcé qui n'était rien d'autre que de l'esclavage sur nos terres. Qui commémore la date de cette abolition ? Depuis notre indépendance, et peut-être même avant, l'économie de ce pays repose sur le cacao et le café. Où trouve-t-on un centre de recherche sur ces deux plantes ? Si ce pays avait une âme, on y trouverait même un musée qui retracerait toute l'histoire de ces deux produits, et qui permettrait à tous les Ivoiriens et aux touristes de les connaître.

Si ce pays avait une âme, on y trouverait un ou plusieurs musées qui retracerait son histoire, celle d'avant sa colonisation, celle de sa colonisation, celle de son combat pour son indépendance, celle de son évolution. Si ce pays avait une âme, nous ne vivrions pas au milieu des ordures. « L'âme, comme le définit l'écrivain français d'origine chinoise François Cheng, est cette entité en nous qui anime notre corps, par son vouloir vivre et son désir d'être. L'âme est capable d'animer le corps parce qu'elle est reliée au principe de vie qu'est le souffle vital qui anime l'univers vivant depuis l'origine. » Tout comme les humains, les pays, les villes ont des âmes, qui les animent. Notre pays n'a pas d'âme et parce qu'il n'en a pas, un jour il mourra.

Venance Konan

Written by Venance Konan

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