Ferro Bally décrypte l'attaque terroriste du jeudi 11 juin 2020 à Kafolo qui a fait 12 morts et celle du village de Gbéya.
Ni minute de silence. Ni drapeau national en berne. Pourtant et manifestement en représailles de l'opération « Comoé », menée, le 13 mai 2020, conjointement par les forces militaires ivoiriennes et burkinabè et ayant permis de neutraliser huit terroristes et d'interpeller trente-huit d'entre eux, la Côte d'Ivoire a subi deux attaques djihadistes.
Le jeudi 11 juin, aux environs de 3h du matin, le camp mixte (militaires-gendarmes) du village de Kafolo (sous-préfecture de Sikolo, département de Kong dans la région du Tchologo, nord-est à la frontière avec le Burkina Faso) a été la cible d'une « attaque terroriste ».
Le bilan est lourd: onze militaires et un gendarme sont morts au champ d'honneur, deux gendarmes sont portés disparus et six autres soldats sont blessés. Dans la nuit du jeudi 11 au vendredi 12 juin 2020, aux environs de 21h, c'est au tour du village de Gbéya (sous-préfecture de Mahandiana-Sokourani, département de Kaniasso, région du Folon, nord-ouest à la frontière du Mali) d'essuyer des coups de feu. Trois soldats ont été blessés.
LIRE AUSSI: « Le projet de réunification du FPI est mort-né et le divorce entre Gbagbo et Affi est consommé »
La Côte d'Ivoire, qui se croyait à l'abri de menaces terroristes et se disait prête à riposter à toute incursion, se retrouve dans l'œil du cyclone. Après l'attaque de la cité balnéaire de Grand-Bassam, le 13 mars 2016 (19 morts dont 16 civils et 3 militaires et 33 blessés), le pays a renforcé son dispositif de sécurité et ses relations avec la France avec l'ouverture, en novembre 2019, d'une école anti-terroriste à Jacqueville (chef-lieu de département dans la région des Grands ponts, à l'ouest du district d'Abidjan).
Les renseignements ont ainsi permis de déjouer plusieurs attentats et éviter des pertes en vie humaine. Mais la situation reste très volatile. En mai 2019, le Quai d'Orsay ou le ministère français des Affaires étrangères plaçait le nord de la Côte d'Ivoire en vigilance orange, couleur désignant « les zones déconseillées sauf raisons impératives » aux touristes français.
LIRE AUSSI: Conseil National de Sécurité : voici les grandes décisions prises ce 11 juin 2020
En effet, en raison de la porosité criante des 1.116 kilomètres de frontière séparant la Côte d'Ivoire du Mali et du Burkina Faso, deux épicentres du djihadisme en Afrique de l'ouest, l'opération « Frontière étanche » a montré rapidement ses limites. Elle a été lancée en juillet 2019 pour protéger le pays de la contagion terroriste. 300 militaires ont été déployés pour s'associer aux policiers, gendarmes et douaniers et renforcer le dispositif existant.
Sur le terrain, les soldats ont, eux-mêmes, reconnu que la tâche s'annonçait titanesque. Non seulement des familles se trouvaient de part et d'autre des frontières avec des exploitations agricoles, mais des djihadistes se fondaient dans la population locale, notamment chez les orpailleurs qui essaiment la zone.
Cette réalité de l'infiltration du pays vient répondre en écho au cri d'alerte de Konan Bédié, président du PDCI-RDA, qui dénonçait, le 7 juin 2019, des « faits troublants ». « On fait venir des étrangers armés qui sont stationnés maintenant dans beaucoup de villages sous le couvert de l'orpaillage », s'inquiétait-il.
LIRE AUSSI: Affaire Hamed Bakayoko : voici comment s'est fait l'enquête selon Kyria Doukouré
Dans la guéguerre politicienne, le pouvoir avait banalisé cet alarme pour s'en laver les mains, accusant Bédié de xénophobie et d'ivoiritaire. C'est un boomerang. Les groupes terroristes dont Ansar Dine, qui voulaient régler des comptes avec la Côte d'Ivoire pour collaboration « avec les ennemis de l'islam », recrutent parmi ces éléments insaisissables et incontrôlables, se cachant à merveille au sein des populations souvent alliées. Et le pays de l'hospitalité, devenu passoire, risque de filer du mauvais coton.