Comparé à celui de Gbagbo, le bilan économique de Ouattara est « loin d’être exceptionnel »

Jean Bonin compare le bilan économique d'Alassane Ouattara à celui de Gbagbo qui, insiste t-il, ont œuvré dans des contextes foncièrement différents.

À l'occasion d'une émission sur [La Nouvelle Chaîne ivoirienne, NDLR], j'ai déclaré que le président Ouattara avait fait quelques réalisations dans le domaine des infrastructures. Il n'en fallait pas plus pour que cela suscite une levée de boucliers de certains pro ADO contre moi et se mettent à comparer le bilan de Ouattara avec celui de Gbagbo.

C'est une erreur de leur part, car comparer deux situations différentes n'a pas de sens. Je fais cette précision car certains parmi eux estiment que j'ai changé. En réalité, je suis le même, sauf que ceux qui m'apprécient lorsque je critique les GOR, les Soroïstes ou le le vivent très mal lorsque j'en fais autant envers leur champion. Je les comprends donc.

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Mais ils devront se faire à l'idée que je suis un libre penseur. Un package complet à prendre ou à laisser. Mon crédo, je l'ai déjà dit, c'est l'honnêteté intellectuelle et la politique autrement. Mon combat c'est le développement de la Côte d'Ivoire, le vivre ensemble, le progrès social pour tous et non de faire plaisir à un camp contre un autre.

Ceci était dit, revenons au sujet qui nous préoccupe : les bilans croisés d'ADO et celui de Gbagbo. Toute étude comparative sérieuse tient nécessairement compte de la similarité entre les éléments concernés. Dès lors. comparer les réalisations du président Gbagbo d'avec ceux du président Ouattara, sans tenir compte de l'environnement politique dans lequel chacun a eu à gouverner serait futile. Analysons.

En 2000, Gbagbo a hérité d'une dette colossale du pouvoir PDCI, de l'ordre de 6 700 milliards. Les institutions de Breton Woods venaient de rompre toute coopération financière avec ce parti pour cause de détournement de fonds. Pour pouvoir renouer avec la (BM) et le (), le devait préalablement s'engager à rembourser les dettes multilatérales contractées par le pouvoir PDCI, que le général Gueï avait, lui, refusé d'honorer.

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L'engagement pris par le FPI de rembourser cette dette l'obligera à fonctionner avec un budget dit « sécurisé », caractérisé par des appuis budgétaires extérieurs à minima, et des paiements conséquents au titre du service de la dette.

Évidemment, cela n'a pas été le cas pour M. Ouattara qui lui, a bénéficié en 2012 de la quasi annulation de la dette publique ivoirienne au titre du point d'achèvement de l'initiative PPTE. Il est bien plus facile de consacrer des fonds au développement des infrastructures lorsqu'on a pas une lourde dette antérieure à rembourser. La dette du pays, qui avait été pratiquement effacée en 2012, a été plus que reconstituée en 2020. Elle est actuellement de l'ordre de 12 000 milliards de FCFA.

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À partir de 2003, suite aux accords de Marcoussis, un accord pour le partage du pouvoir a été scellé entre le pouvoir FPI et les différents partis de l'opposition d'alors, ainsi que les forces rebelles. Ce n'était donc pas un gouvernement de développement mais un gouvernement de « réconciliation nationale » qui a été mis sur pied de 2003 à 2010, avec pour premiers ministres, successivement M. , M. Banny et M. Soro. Évidemment ils n'avaient pas pour mission de mettre en œuvre le programme de gouvernement de la refondation, mais plutôt un programme de sortie de crise.

C'est un fait que M. Ouattara n'a pas hérité d'un tel environnement politique contraignant, qui l'aurait obligé à travailler notamment avec certains ministres analphabètes issus de la rébellion, et d'autres de l'opposition qui lui étaient hostiles et qui par ailleurs étaient majoritaires dans les différents gouvernements concernés. Qui pourrait gagner un match de foot lorsque c'est l'entraîneur du camp adverse qui classe les joueurs du camp opposé ? C'était le cas de Gbagbo.

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De même, lorsqu'on a la responsabilité de gérer un pays dans son ensemble, alors qu'on ne perçoit les taxes et autres impôts que dans une partie représentant moins de la moitié de ce pays, il est évident qu'on est pas dans la même situation que celui qui perçoit la totalité des recettes fiscales et douanières. Gbagbo devait financer l'ensemble des collectivités territoriales (districts, départements, communes…) et procéder au paiement de tous les fonctionnaires avec le travail des seuls et entreprises au sud de Bouaké. C'est évidemment un handicap que M. Ouattara n'a pas connu et qui lui a permis de lever sereinement des fonds sur les différents marchés financiers.

Ces différences d'environnement montrent, si besoin était, que comparer des situations politiques différentes ne sont pas raisonnables. Nonobstant, l'environnement défavorable dans lequel il a été contraint de gouverner, avec son opposition civile et armée, il serait injuste et injustifié de dire qu'il n'a rien réalisé. Pour preuve, en dépit de la guerre et la partition du pays il a notamment pu réaliser :

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1 – En ce qui concerne les infrastructures :

  • le prolongement de l'autoroute du nord de Singrobo à Yakro.
  • La réhabilitation de la voie – Adzopé.
  • Le bitumage de l'axe Odiénné Tengrela (en zone CNO).
  • Le bitumage du tronçon Abobo Samanké – Zoo.
  • Le bitumage et le doublement de la voie Williamsville – Zoo dans les deux sens.
  • La réhabilitation de l'échangeur Gesco – Autoroute du nord – route de Dabou.
  • La construction d'un château d'eau au quartier Abbata à Bingerville.
  • La modernisation des infrastructures portuaires et l'extension du PAA avec l'acquisition de portiques à conteneur.
  • La rénovation de l'Hôtel Ivoire.
  • La construction du CHU d'Angré.
  • La construction du pont abusivement appelé « pont Soro ».
  • La construction du pipeline Abidjan – Bouaké (450 km).
  • La réhabilitation de l'Hôpital général de Gagnoa.
  • L'électrification de 1 035 villages, contre 1 700 en 40 ans.
  • La réhabilitation de 55 structures sanitaires en zone CNO qui avaient été pillées par la rébellion…

2 – En ce qui concerne l'emploi et la formation

  • le recrutement de plus de 75 000 fonctionnaires, dont 21 129 instituteurs, 5 634 professeurs, 1 261 éducateurs, 3 073 médecins, 2 150 infirmiers, 1 364 sages-femmes…

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Comme on peut le constater, citer une pléthore de réalisations n'a rien d'extraordinaire. S'il est vrai que le pays a connu une forte croissance sous M. Ouattara, il est tout aussi vrai que c'est le cas de tout pays qui sort d'une guerre ou même d'une catastrophe naturelle. Lorsqu'on part de zéro, on ne peut logiquement que progresser avec notamment la reprise des activités commerciales et industrielles. Le retour de la paix entraîne toujours celui des investissements directs étrangers…

Lorsqu'on consacre des milliers de millards de francs CFA dans un processus de démobilisation, d'encasernement, de désarmement, d'identification électoral… Il est évident que ce sont autant de ressources dont on se prive pour amorcer le développement des infrastructures.

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Il faut donc relativiser l'embellie économique sous M. Ouattara. Elle n'est pas nulle, mais elle est loin d'être exceptionnelle si l'on tient compte de l'environnement favorable qui lui a permis de travailler avec des cadres uniquement choisis par lui, dans un environnement apaisé et de s'endetter de façon exponentielle.

À titre d'exemple, le Pont HKB (qui n'a pas été financé par l'Etat de Côté d'Ivoire mais par des d'investisseurs privés (Bouygues…) a coûté environ 130 milliards de francs CFA dans le cadre d'un partenariat public-privé. Lequel est toujours beaucoup plus coûteux qu'un financement en marché public.

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Si avec 130 milliards, on peut construire un pont et toutes les voies d'accès d'une infrastructure comme le Pont HKB, combien de ponts peut-on construire avec 12 000 milliards ? Supposons même qu'un kilomètre de route puisse coûter 1 milliard FCFA. Combien de kilomètres aurait-on pu construire avec les 12 000 milliards de FCFA empruntés ? Je parle là seulement des emprunts et non des ressources propres du pays au titre de nos impôts, taxes douanières et autres recettes (pétrolières notamment) qui s'ajoutent à la dette chaque année.

Je veux bien croire que certaines personnes qui ne disposent pas des vraies données puissent être épatés et euphoriques devant le bilan économique de M. Ouattara, mais tout de même sachons raison garder et posons-nous les bonnes questions.

Ainsi, ceux qui s'extasient devant les réalisations du président Ouattara se rendraient compte qu'on aurait pu faire mieux, beaucoup mieux avec cette manne financière.

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Written by Jean Bonin

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