André Silver Konan invite le ministre Isaac Dé à commencer à « démolir systématiquement » la corruption au ministère de la Construction ». Une réponse du lanceur d'alertes, qui interpelle ainsi le ministre de la Construction, du Logement, de l'Assainissement et de l'Urbanisme, qui prévoit « démolir systématiquement » des constructions à Abidjan.
J'aimerais mettre tout le monde à l'aise, tout de suite. Je ne suis pas opposé à un quelconque projet visant à améliorer notre cadre de vie et à inculquer le respect des règles, aux contribuables. Je dis simplement que la meilleure façon d'imposer le respect des règles aux citoyens, c'est de mettre un terme aux actions de ceux qui, au sein de l'administration publique, autorisent, d'une façon ou d'une autre, le citoyen à ne pas respecter les règles. Ici, on parle des fonctionnaires et acteurs publics, intervenant dans la chaîne de la construction.
Brimer le citoyen est une solution conjoncturelle qui ne réglera rien, sinon déplacera le problème. Sanctionner les autorités publiques qui autorisent les constructions anarchiques est une solution structurelle qui mettra un terme à l'anarchie. Voici très clairement résumée, ma position.
Cela dit, c'est avec beaucoup de déception que j'ai appris que le très respectable ministre de la Construction, Claude Isaac Dé, a annoncé, avec sérieux et gravité, que « tous les chantiers exécutés en violation des règles du permis de construire et au mépris des dispositions constructives, dans le district d'Abidjan », feront l'objet de ‘'démolition systématique''. Cette position que je vais prendre, va tourner autour de quatre points.
Quand Isaac Dé présente des Ivoiriens comme des faussaires impénitents
Dans sa déclaration, le ministre de la Construction a indiqué qu'une étude effectuée dans les quartiers sud d'Abidjan a dévoilé que la quasi-totalité des constructions ne correspond pas aux prescriptions du permis de construire. Cette information, quand bien même elle serait juste (je démontrerai dans la suite que la faute incombe à ses propres services), est de nature à présenter les usagers comme des faussaires impénitents, qui sont tout le temps en train de tricher avec la légalité et la régularité. Ceci est une détestable stratégie qui vise à vouloir enlever la paille qui est dans l'oeil de l'usager, alors que l'oeil de sa propre maison est pleine de poutre.
Politique inexistante de la construction
J'aimerais tout de suite relever que Isaac Dé nommé à ce poste depuis quatorze mois, n'a pas encore véritablement convaincu, sur sa capacité à rénover dans son ministère et que de ce fait, il n'est pas (encore) si différent de ses prédécesseurs, qui ont souvent, emprunté la même voie du spectacle, pour donner l'impression d'être à la tâche. A mon avis (et je peux me tromper), l'homme veut faire du spectacle, pour détourner l'attention des Ivoiriens sur les carences de sa politique.
Ne nous voilons pas la face. Les constructions ne respectant pas les normes sont une conséquence, la cause étant la corruption des fonctionnaires et acteurs publics intervenant dans la chaîne de la construction. Démolir la conséquence, sans s'attaquer à la cause, ni même chercher à l'identifier, relève de la politique de la fuite en avant, qui fait la honte de nos dirigeants africains et les éloigne progressivement de leurs peuples.
Soyons sérieux ! Aucune maison à Abidjan (je dis bien aucune, nous sommes tous témoins), même celle construite sur le chantier le plus difficile d'accès, ne peut être construite, sans que de petits malins dans des bureaux feutrés, ne viennent sur le chantier ou y inscrivent de larges croix en rouge, frappées de la phrase que tout Abidjanais connaît depuis sa tendre enfance : « A démolir ».
Quand donc, le ministre Dé déclare qu'il a « exigé avec fermeté » que les brigades de contrôle soient renforcés, on a tous compris qu'ici la fermeté n'est pas l'enjeu, mais le budget qui va servir à renforcer ces brigades. On se comprend… Parce que, je répète, aucune maison à Abidjan, dans un lotissement approuvé, ne peut être construite, sans qu'un agent public ne se présente sur le chantier ou vienne y inscrire une croix rouge.
Cependant, ces maisons, avec ces inscriptions qui signifient qu'elles n'obéissent pas aux normes, n'ont jamais été démolies. Après l'étape de la croix en rouge, on constate qu'après une brève interruption, les murs continuent de s'élever. A qui la faute ? A celui qui pense ainsi s'être mis en règle ou à celui qui a donné son accord, même verbal, pour que les travaux se poursuivent, en sachant très bien que ceux-ci ne respectaient pas les « règles du permis de construire » ?
En clair, le ministre va beau renforcer les brigades de son ministère, cela ne réglera pas le problème, bien au contraire, cela va l'amplifier, puisque le seul mérite sera de mettre les croix en rouge sur des maisons à démolir, qui ne seront jamais démolies, après le passage du propriétaire, dans un bureau.
Allez donc dire au très respectable Claude Isaac Dé, que la « démolition systématique » doit concerner au premier chef, les agents publics, qui interviennent dans la chaîne de la construction (la cause) et non les chantiers exécutés en violation des règles du permis de construire (la conséquence).
Implications politiques
Est-il utile de dire que toute opération de démolition est impopulaire, tant qu'elle apparaît comme une brimade de la force publique ? Si le gouvernement admet que son « nom est gâté » au sein d'une partie de l'opinion, les opérations de déguerpissement qui visent les victimes de la corruption des élites, y ont certainement participé.
Isaac Dé est un ministre issu du PDCI (délégué de ce parti à Dabou), par ces temps qui courent où la coalition au pouvoir ne sait plus très bien où elle va et qui est qui, il est important que le premier ministre Amadou Gon Coulibaly décrypte froidement les propositions de ses ministres, pour savoir si elles cadrent réellement avec l'ambition de service du peuple. Je répète : cette opération sera nécessairement impopulaire, tant qu'elle visera les victimes (conséquence), et non les bourreaux (cause). Elle ne peut donc pas être une ambition de service du peuple.
A lire aussi :
« La corruption est un état d'esprit en Afrique » : André Silver Konan
La politique du spectacle comme on en faisait jusque-là, dans ce pays, et qui n'a rien n'apporté de positif, ni pour les tenants actuels du pouvoir (ils reconnaissent eux-mêmes que quelque chose ne fonctionne pas), ni pour le renforcement de la bonne gouvernance, n'est pas de la politique, c'est de la mauvaise politique et elle accroît la déception des populations, tout en renforçant leur manque de confiance dans l'action publique.
Mais personne n'est dupe, après l'installation du sénat, il y aura un remaniement et quand on a gelé toutes les signatures d'Arrêté de concession définitive (ACD) dans son ministère, sans jamais avoir engagé de poursuites contre tous les responsables qui auraient auparavant délivré des papiers irréguliers et qu'on se rend compte qu'on a passé quatorze mois, sans être visible sur le chantier de la réforme ; on trouve rapidement une parade, pour occuper l'espace médiatique. Cette parade a toujours fonctionné depuis la nuit des temps : le spectacle !
Solutions simples
Pour démolir la mafia qui sévit dans la maison de la construction (la cause), il n'est pas besoin de solutions miracle. Il suffit que tous ceux qui ont construit des chantiers présentés comme n'obéissant pas aux règles, présentent les papiers dont ils disposent, à n'importe quel enquêteur que le gouvernement (dans ce pays, on a toutes les structures d'enquête : inspecteurs dans les ministères, Haute autorité pour la bonne gouvernance, Agents judiciaires du Trésor, Inspection générale d'Etat, police économique, etc.) aura instruit et qu'on regarde au bas de ces papiers, les fonctionnaires et agents publics, qui les ont signés.
Ces derniers seraient ainsi appelés à s'expliquer sur les raisons qui les ont motivés à délivrer des documents non conformes. Si démolition il doit y avoir donc, l'autorité qui a validé (même verbalement, dans son bureau) la construction doit être tenue pour responsable des dégâts causés au propriétaire du chantier et doit de ce fait, supporter les dommages causés à la victime.
Je répète : le propriétaire d'un chantier bénéficiant de documents administratifs ou non, mais ayant poursuivi ses travaux, après une inscription au rouge, sur un mur de son chantier, faite par un agent public et après un détour dans un bureau public ; n'est pas un voyou, il est une victime.
Isaac Dé sait très bien que je ne raconte pas d'histoires. S'il en doute, qu'il fasse une enquête simple: acheter un terrain non loti et non approuvé dans la périphérie d'Abidjan, au nom d'un enquêteur et que celui-ci essaye d'établir le titre foncier. Il établira la laideur qui se trouve dans la maison du circuit de la construction. Parce que tant que cette mafia ne sera pas démantelée, elle continuera de sévir et les démolitions se multiplieront.
Monsieur le ministre, commencez à démolir la corruption (la cause) dans votre propre maison, alors vous aurez assez ayez de légitimité pour démolir les constructions n'obéissant pas aux règles administratives (la conséquence).
André Silver Konan