Venance Konan : « Rois et chefs en Côte d’Ivoire : une inflation de titres pour quelle utilité ? »

Dans un article publié le 12 mars 2024, le journaliste ivoirien Venance Konan s’interroge sur la prolifération des rois en Côte d’Ivoire.

Il note que, dans de nombreuses régions du pays, on trouve des rois, des chefs de canton, de tribus et de villages, dont les rôles et les pouvoirs semblent souvent flous.

Konan cite l’exemple du royaume des Ngbogbo, un petit groupe ethnique de la région de l’Iffou, qui a son propre roi. Il mentionne également les nombreux rois chez les Agni, les Baoulé et les Nzima.

Le journaliste s’étonne de cette inflation de rois dans un pays qui se proclame république. Il se demande à quoi ils servent et quelle est leur légitimité. Il note que, dans la plupart des cas, leur rôle semble se limiter à décorer les cérémonies avec leurs habits de chefs et leurs couronnes dorées.

Konan s’interroge également sur la différence entre un chef de village et un roi, ou entre un chef de canton et un chef de tribu. Il souligne que, dans de nombreux cas, ces titres semblent être utilisés à des fins d’autodérision ou pour obtenir des avantages personnels.

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Le débat sur la place des rois et des chefs traditionnels en Côte d’Ivoire est loin d’être clos. L’article de Venance Konan a le mérite de l’avoir relancé et d’avoir ouvert la voie à une réflexion plus approfondie sur ce sujet important.

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Ci-dessous l’intégralité de son analyse :

Les rois de la république

Il y a quelques jours j’ai assisté aux funérailles d’un roi. Il s’agit de celui des Ngbogbo. Je suis sûr que la grande majorité de mes compatriotes n’ont jamais entendu parler de ce peuple et encore moins de son roi. Il s’agit d’un sous-sous-groupe des Baoulé, qui sont eux-mêmes un sous-groupe des Akan, et leur royaume couvre dix villages situés entre Ananda, dans le département de Ouellé, et Mbahiakro. Cela ne les a pas empêché d’avoir un roi. Ils sont nombreux, les rois dans la région de l’Iffou qui regroupe les départements de Daoukro, M’bahiakro, Prikro et Ouellé.

J’en connais deux à Daoukro, sans être capable de situer leurs différents royaumes, un autre à Koffi-Amonkro, dans le département de Prikro, un autre chez les Abè d’Ettrokro, à ne pas confondre avec les Abbey d’Agboville. Ceux d’Ettrokro parlent une langue qui se situe entre le Baoulé et l’Agni, deux langues qui ne différent en réalité que par l’accent. Il y en a certainement encore d’autres que je ne connais pas. A Sakassou, il y a le roi ou la reine des Baoulé. Au début, ce fut une reine. Puis son fils réclama le trône et le royaume se trouva divisé en deux, la mère et le fils ayant chacun ses partisans, qui, coïncidence peut-être, correspondaient plus ou moins à ceux de messieurs Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié, ou si l’on veut, du RHDP et du PDCI.

Il y a aussi un roi dans le Moronou, la région voisine de l’Iffou. Il y a une vingtaine d’années, un individu de cette région s’était proclamé roi et pour son intronisation, avait voulu faire venir les rois régnants d’Afrique, à savoir ceux du Maroc, du Lesotho et du Swaziland. J’ignore s’il a pu leur faire parvenir les invitations. Un jour je l’ai vu en train de faire la queue à la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) pour toucher sa pension de retraité. Je crois que son statut de roi ne l’avait pas beaucoup aidé. A vrai dire, je crois qu’il fut le seul à se prendre au sérieux. Il y a un autre roi dans l’Indénié, un autre dans le Djuablin, et encore un autre dans le Sanwi. Moronou, Indénié, Djuablin et Sanwi sont toutes des régions agni. Mais chacune a son roi.

A Grand-Bassam il y a aussi deux rois, celui de Moossou, qui est un quartier de la ville, et celui des Nzima, une ethnie qui s’étend jusqu’au Ghana. Je ne sais si l’autorité du roi qui est à Grand-Bassam s’étend jusque dans ce pays voisin.

Tout près de Grand-Bassam, il y a le village d’Ebrah qui a aussi son roi. Il y a quelques années il y eut un imbroglio à la tête de ce royaume, le roi ayant été destitué, ce que l’intéressé ne reconnaissait pas. L’épouse de ce roi, très connue dans le milieu des médias se faisait donner du « Sa Majesté » et faisait suivre son nom de la mention « épouse reine ». J’ignore si elle se prenait au sérieux ou si c’était de l’autodérision. Il y aussi un roi, m’a-t-on dit, à Bonoua, cité voisine de Grand-Bassam. Et sans doute dans de nombreuses autres localités de la région.

Combien de rois avons-nous dans ce pays qui se proclame république ? A quoi rime cette inflation de rois, aux côtés desquels il faut compter les chefs de canton, de tribus, de villages, à moins que tout cela ne soit pareil ? J’avoue que je ne sais plus trop la différence entre chef de village et roi, dans le cas d’une localité comme Ebrah ou Moossou par exemple, ou entre chef de canton, chef de tribu et roi.

Il y a quelques années nous avons assisté à la bagarre entre les deux Augustin, Dahouet et Thiam pour la chefferie de canton des Akoué de Yamoussoukro. A quoi sert un roi, un chef de village, de canton ou de tribu dans notre république ? Pour le moment, pour ce qu’il m’est donné de voir, ils servent surtout à décorer les cérémonies avec leurs habits de chefs, leurs couronnes dorées, et en faisant les libations aux mânes des ancêtres.

Disons qu’ils servent à apporter une touche culturelle ou folklorique à nos différentes cérémonies publiques. Pourquoi est-ce essentiellement en pays akan que l’on voit tous ces rois ? Combien d’Ivoiriens se reconnaissent-ils en ces rois et chefs ? Quelle est l’autorité d’un chef, de village, de canton ou de tribu, d’un roi, à côté de celle d’un sous-préfet, d’un préfet, d’un magistrat ? Ya-t-il des règles précises pour être désigné roi, ou n’importe quel farfelu peut se proclamer roi ?

Je connais un certain Tchiffy Zié, qui se proclame secrétaire général permanent du Conseil du Forum des rois, sultans et princes africains qui se fait donner aussi du « Sa majesté » et qui aurait été couronné Roi David en septembre 2019 à Axum, en Ethiopie, faisant de lui le 263ème roi de la lignée. La chambre des chefs et rois de Côte d’Ivoire devrait peut-être nous éclairer davantage.

Written by Mohammed Ouattara

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